L’homme qui tua Lucky Luke
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Thème
Par une nuit sombre et pluvieuse, Lucky Luke, monté sur son fidèle Jolly Jumper, arrive incognito dans la petite ville de Froggy Town. Il y est rapidement confronté à l’hostilité du sheriff local, James Bone, et de ses frères, Anton et Steve. Dans le même temps, il se lie d’amitié avec un médecin déclassé, alcoolique et tabagique, Joshua ‘Doc’ Wednesday. Ce dernier fait figure de parent proche du célèbre John Henry ‘Doc’ Holliday, figure mythique de la conquête de l’Ouest, plusieurs fois mis en scène à l’écran (La Poursuite Infernale, titre original My Darling Clementine, John Ford, 1946 ;Règlement de comptes à O.K. Corral, titre original Gunfight at the O.K. Corral, John Sturges, 1957 ; Tombstone, George P. Cosmatos, 1993 ; Wyatt Earp, Lawrence Casdan, 1994) ou dans les planches de Bande Dessinée (Blueberry, cycle Mister Blueberry, Albums 24-28, Jean Giraud, éd. Dargaud, 1995-2005). Bien qu’assailli par les grenouilles de la cité éponyme et accaparé par la recherche frénétique du moindre brin de tabac de la ville, Lucky Luke se lance en sa compagnie sur la piste d’un mystérieux indien accusé d’avoir dévalisé la diligence des mineurs de Sylver Canion…
Points forts
Cet album est tout d’abord un formidable hommage à Lucky Luke et à son père Morris. Les aventures du cow-boy solitaire ont en effet accompagné des générations de jeunes lecteurs dans leur découverte du 9ème art, quand le style de Morris, mélange de ligne claire réaliste héritée de l’école belge et d’humour décalé, s’imposait comme une référence de ce même univers.
Il est aussi truffé de références au western sous toutes ses formes, notamment cinématographiques et BDistiques. En plus des films déjà cités, on mentionnera le crépusculaire Impitoyable, titre original Unforgiven, de et avec Clint Eastwood (1992), que l’on retrouve dans la scène d’arrivée à Froggy Town et celle où Lucky Luke reprend les paroles du tueur froid William Munny pour expliquer que quand on tue un homme, on « lui retire tout ce qu’il a … et tout ce qu’il aurait pu avoir … ». La scène de la rencontre entre Lucky Luke et ‘Doc’ renvoie à celle de la rencontre de Wyatt Earp et Doc Holliday dans le Wyatt Earp de Lawrence Kasdan (1994). On verra également un clin d’œil au légendaire Rio Bravo (Howard Hanks, 1959) dans la façon dont Luke asperge d’eau son prisonnier. Enfin, la scène où le même Luke emprisonne le Père Bone vêtu d’un seul caleçon long ramène à celle du Wyatt Earp de Lawrence Kasdan (1994) où le jeune Wyatt découvre sa vocation d’homme de loi.
Côté BD, on appréciera de retrouver le désenchanté La mine de l’Allemand perdu (Jean Charlier, Jean Giraud, éd. Dargaud, 1972) lorsque Lucky Luke, seul, de nuit, tient tête à toute une ville ivre de vengeance. On pourra également trouver d’autres références à la série des Blueberry dans le duel au soleil levant, à l’adieu de fin d’album à la femme avec qui … (L’homme à l’étoile d’argent, Jean Charlier, Jean Giraud, éd. Dargaud, 1969) ou le face à face avec le chef de guerre indien expliquant le mépris des ‘Hommes Rouges’ pour le métal jaune et la soif qu’il provoque chez ‘l‘Homme Blanc’ (L’homme au poing d’acier, Jean Charlier, Jean Giraud, éd. Dargaud, 1969)
Cet album tient beaucoup par ses ‘seconds rôles’, très construits, qui prennent presque plus d’importance qu’un héros étonnamment perdu. Ainsi, Lucky Luke ne se sert de son fameux ‘six coups’ qu’une fois dans tout l’album sans savoir quelle cible il a atteint… Au premier rang de ces seconds rôles figure évidemment ‘Doc’, double négatif mais complémentaire de Lucky Luke qui lui renvoie la figure qu’il pourrait devenir s’il chutait de son piédestal. On citera également le Père Bone, mélange détonnant du Père Clanton de La Poursuite Infernale (titre original My Darling Clementine, John Ford, 1946) et du Père de Stella du superbe Tyler Cross (Tome 1, Fabien Nury, Brüno, Laurence Croix, éd. Dargaud, 2013). Enfin, une touche féminine avec la belle Laura Legs, amour impossible de Luke, qui vient démarrer une nouvelle vie à Froggy Town en épousant un homme dont elle a vu le bon en lui. Sa subtilité féminine jouera un rôle non négligeable dans l’intrigue.
Enfin et surtout, j’ai beaucoup apprécié le parti pris scénaristique de l’album : de la noirceur à la lumière, d’une ambiance crépusculaire à la beauté du soleil couchant, d’une humanité désespérée et désespérante à un appel à croire à ce qu’il y a de bon en l’homme. Pour ce faire, l’auteur n’hésite pas à démythifier Lucky Luke, en en faisant un personnage faillible, presque antipathique, à tout le moins cynique, fumeur en situation de manque, justicier dépassé par les événements, tireur d’élite à la main tremblante se faisant délester de son colt, voler son cheval et largement manipuler. En créant ce contrepoint, l’auteur mène sans y toucher une réelle réflexion sur les mythes de l’ouest américain, de l’image d’Epinal du justicier solitaire et des représentations auxquelles ils renvoient dans nos sociétés modernes.
Quelques réserves
L’intrigue ‘policière’ est sans doute un peu ‘légère’ au vu des autres qualités de l’album. En première lecture, la chute pourra peut-être paraître un peu simple. A la relecture, elle pourra être perçue comme une jolie pointe d’optimisme et le début du renouveau pour un Lucky Luke ayant achevé à Froggy Town son véritable parcours initiatique.
Encore un mot...
Un album à lire absolument pour tout amoureux de la Bande Dessinée, de Lucky Luke, de la conquête de l’Ouest, des Westerns et du cinéma. En revisitant le mythe de Lucky Luke, Matthieu Bonhomme nous emmène avec bonheur à la rencontre de quasiment tous les mythes de l’Ouest Américain – le saloon enfumé, la ville minière frappée de la fièvre de l’or, la chanteuse de cabaret rêvant d’une vie meilleure, les émigrés partis chercher fortune dans l’Ouest sauvage et violent, les Indiens dépossédés et repoussés par l’Homme Blanc, le duel en face à face…
En permettant à Lucky Luke de retrouver son identité, Matthieu Bonhomme nous invite à partager sa passion pour cet univers et les maîtres qui l’ont bercé. J’en veux pour preuve la dernière page de l’album, ultime clin d’œil cinématographique au fantastique L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (titre original The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford, Andrew Dominik, 2007).
Une phrase
"Vous et moi nous avons fait notre vie avec notre colt. Nous savons qu’il y a forcément quelque part, dans l’arme de quelqu’un qui approche, la balle qui va nous descendre…"
L'auteur
Quel album choisir pour démarrer une section Bande Dessinée ? Question aussi enthousiasmante que tâche ardue tant est vaste le champ des possibles. Heureusement, la providence veillait alors que je me trouvais confronté à cette pressante interrogation. Elle se manifesta par la sortie d’un album qui rendait le choix évident. Son titre, L’homme qui tua Lucky Luke, est en lui-même une double déclaration d’amour. A la Bande Dessinée tout d’abord, puisqu’il annonce revisiter le mythe d’un héros emblématique de la BD. En effet, qui peut tuer l’homme qui tire plus vite que son ombre ? Au western et au cinéma ensuite, par le clin d’œil adressé au chef d’œuvre de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance (1962). Je vous propose donc d’inaugurer cette section en prenant la piste du Grand Ouest Américain, en compagnie du ‘Poor lonesome cowboy’ et de son fidèle compagnon Jolly Jumper…
Première étape sur la piste : faire connaissance avec celui qui nous permet de réaliser ce voyage, l’auteur, Matthieu Bonhomme !
Né en 1973, il manifeste dès son plus jeune âge une passion pour le dessin. Celle-ci le pousse à passer un bac technique option dessin et un BTS d’arts appliqués, avant de chercher sa voie dans la presse écrite et la publicité. Son arrivée dans la Bande Dessinée se fait par le biais d’une rencontre avec Christian Rossi, dessinateur et scénariste français. Il publie son premier album en 2002, Victor & Anaïs, chez Carabas, sur un scénario de Jean-Michel Darlot. Il réalise ensuite avec Fabien Vehlmann, Le Marquis d’Anaon, signé chez Dargaud (Tome 1, 2002). Il remporte à Angoulême en 2003, le Prix du premier album avec le premier tome de Le voyage d’Esteban (éd. Dupuis). Après la réalisation de différents ouvrages, Il travaille actuellement au 6èmeopus de Le voyage d’Esteban.
Commentaires
Excellentissime chronique qui donne envie de lire et de se replonger dans des films references !
Clint arrive dès la couverture : on entend les éperons, on sent l'odeur du cigarillo et on imagine que la barbe est rugueuse ! ....
Cher Nicolas, si la moitié de vos reference sont françaises, de ces Français idéalisant les symboles de l'Ouest Américain, que penser alors de "Froggy town" !?
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