Les couloirs aériens

50 ans et la vie devant soi
De
Dessins : Etienne Davodeau, Scénario : Etienne Davodeau, Christophe Hermenier et Joub
Editions Futuropolis
p. 108, 19 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Avec les « couloirs aériens », vous allez découvrir une tranche de la vie d’Yvan, récent cinquantenaire qui s’interroge sur le sens de son existence. nt soi.Ainsi résumé, cela ne sonne pas très original. Et pourtant, ce long récit de plus de cent pages a, comme souvent chez Etienne Davodeau, le charme de la banalité apparente. Davodeau s’est uni à deux des ses amis, artistes graphiques également, Joub et Christophe Hermenier, pour écrire ce récit, dont on comprend rapidement qu’il est inspiré de la vie de ce dernier.

Yvan vient donc d’avoir cinquante ans, de perdre ses parents et son boulot, et se retrouve, un peu paumé, hébergé par des amis dans un chalet de montagne. Loin de tout, entre espoir et déprime, il va tenter de mettre un peu d’ordre dans sa tête, sinon dans sa vie, banalement compliquée : sa femme travaille à Singapour, un de ses enfants vit au Canada et profite du modèle capitaliste que lui-même rejette, son frère galère dans les problèmes d’argent et le lui fait sentir, il vieillit, perd ses cheveux et gagne du ventre.

Peu à peu, au cours du récit, il va découvrir qu’il peut encore plaire, s’intéresser aux autres, déterrer des choses enfouies de son passé. Bref, qu’il peut continuer à vivre et que ça peut valoir le coup.

Points forts

Sans minimiser l’apport des deux autres auteurs, ce récit ressemble à du Davodeau pur jus. Les tranches de vie mélancoliques et superbes, auxquelles on a déjà goûté par le passé – comme dans le magnifique Lulu, femme nue ou l’emballant Les Ignorants qui faisait se rencontrer les vies d’un auteur de BD et d’un vigneron – s’enrichissent de l’histoire d’Yvan, cinquantenaire, en apparence déprimé et pessimiste. Ceux qui aiment Davodeau aimeront ce récit. Les auteurs ont réussi à éviter quelques-uns des écueils les plus dangereux pour ce genre d’histoire qui aurait pu être un empilement de clichés, ou, pire peut-être, un exercice nombrilique horripilant. Bien au contraire, ce récit a de la Grâce et touche le lecteur, qui, presqu’obligatoirement, retrouvera un peu de lui-même dans le récit.

Certains clichés sont néanmoins présents dans cette BD dont celui, très réussi, des photos des objets qu’Yvan/Christophe retrouve en vidant la maison de ses parents. Comme dit le frère d’Yvan : « voilà ce qui arrive quand les ouvriers gravissent un barreau de l’échelle sociale et tentent d’adopter les goûts douteux de la bourgeoisie ». Prenez le temps de découvrir ces pleines pages de photos, une belle trouvaille visuelle. Je vous mets au défi de ne pas retrouver, dans cet empire du kitsch, une bouffée d’enfance mélancolique.

Quelques réserves

C’est la question difficile de cette chronique… que je n’ai pas réussi à vraiment trancher. Est-ce une BD uniquement pour des cinquantenaires et plus ? Y a-t-il un risque que le lecteur plus jeune trouve cette BD ennuyante ? Après tout, comme le dit Yvan dès les premières pages : « du haut de nos vingt ans, un mec de cinquante ans, c’était un mec fini ». En ayant une lecture plus négative de cette BD plus négative, on pourrait juger cette histoire inintéressante et trouver qu’elle tire en longueur.

Encore un mot...

PASSER LES DIZAINES ET CONTINUER A VIVRE
Si Les couloirs aériens ne constitue pas la BD immanquable de ce début d’année, elle reste une œuvre attachante qui mérite le détour. On imagine les trois auteurs, qui sont aussi trois amis, construire ce récit en partageant leurs réflexions sur le temps qui passe. C’est le genre d’histoire qu’on doit écrire le soir, autour de quelques bouteilles de vin – du Richard Leroy, peut-être (pour en savoir plus, lire Les Ignorants) – en se « marrant » et en « s’engueulant ». Peu à peu, les contours du personnage apparaissent. Yvan est tour à tour touchant, amusant, combattant, un peu pathétique, un peu héroïque, un peu lâche, un peu comme les auteurs, un peu comme chacun d’entre nous.

Une illustration

L'auteur

Étienne Davodeau est issu d'une famille ouvrière des Mauges, comme il l'explique dans Les Mauvaises Gens, ouvrage qui retrace la jeunesse de ses parents. Après le baccalauréat, Étienne fait ses études supérieures à l'université Rennes 2 (département arts plastiques) ; il fonde alors, avec d'autres passionnés de BD, dont ses futurs collaborateurs Joub et Jean-Luc Simon, le studio Psurde. Il publie son premier album, L'Homme qui n'aimait pas les arbres, en 1992, dans la nouvelle collection pour jeunes auteurs, « Génération Dargaud ».
Dans son œuvre, il alterne fictions et récits réalistes. Ses histoires, ancrées dans le réel, tracent des portraits bien vivants de gens ordinaires aux démêlés particuliers. Il obtient deux années de suite le Prix France Info de la bande dessinée d'actualité et de reportage : en 2006 pour Les Mauvaises Gens : une histoire de militants, et l'année suivante pour Un homme est mort, écrit avec Kris. En 2013, il obtient le Prix « Grand Boum-Ville de Blois », décerné par le festival bd BOUM, pour l'ensemble de son œuvre.
La même année, sa bande dessinée en deux tomes Lulu femme nue, publiée en 2008 et 2010, est adaptée au cinéma sous le même titre par Sólveig Anspach. Le film est nommé au César de la meilleure adaptation lors des César 2015.

Joub, de son vrai nom Marc Le Grand, est né à Colmar en 1967 et réside actuellement dans la région de Rennes. Il fonde le Studio Psurde, avec Étienne Davodeau, Fred et Jean-Luc Simon. Joub entame sa carrière de dessinateur professionnel en publiant quelques strips dans le magazine Auto-Rétro. En 1995, il crée sa propre agence de publicité : Joub Création Graphique par l'intermédiaire de laquelle il s'occupe depuis 1999 de la communication du festival de la bande dessinée de Saint-Malo, Quai des Bulles.
S'il admire Franquin, l'évolution de sa technique dépend plus des critiques et des remarques de ses collaborateurs du Studio Psurde. Il a d'ailleurs publié avec Étienne Davodeau en 1998 une histoire pour enfants : Le Voyage Infernal, aux Éditions Magnard.

Christophe Hermenier n’a pas, à ma connaissance, de passé dans le monde de la BD. Les couloirs aériens semblent être son premier scénario.

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