Les Cahiers Ukrainiens, journal d’une invasion, un récit témoignage
Février 2023
168 p.
24 €
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Thème
Le 24 février 2022, l'armée Russe franchit la frontière Ukrainienne pour envahir le pays et l'assommer sous les bombes.
Dans ce récit singulier, l'auteur et illustrateur Igor Tuveri, d'origine italienne, restitue par les mots et par l'image l'absurdité du quotidien, la surprise et l’angoisse d'Ukrainiens dont il recueille les témoignages par téléphone.
En bandes dessinées, et presqu'en bande son, il met en scène ces récits loin du front, sur les chemins de l'exil, sous les bombes, après la violence des soldats russes - à Marioupol, Boutcha, Zaporijjia… dans les rues et devant les corps martyrisés, dans l'intimité des foyers ou des tourelles de chars.
Ce Journal se décline par jours après l'invasion, par lieux et par témoignages, en courte ou plus longues tranches de vies « sous angoisse », par séquences de 3-4 pages. Il donne aussi la parole aux forces russes, parole volée au cours des combats, le témoignages de soldats également bourreaux piégés par leurs "tchats".
C'est donc un livre, un ouvrage témoignage, composé d’images et de paroles probablement authentiques, dont les dessins portent les tristes couleurs de la guerre : le noir, le gris, le bistre, le rouge, le brun, le vert des camouflages, le blanc des éclats.
Points forts
Incontestablement, le texte qui décrit le quotidien des Ukrainiens est le point fort de ce roman graphique. Ecrit simplement, dans une typographie très sobre, il a la puissance de la chose vécue et fait œuvre de mémoire.
Ce journal n'est pas manichéen. Il évoque les sujets sensibles, comme la manipulation de l'information, l'incompréhension de certains soldats russes, le nationalisme exacerbé du bataillon Azov, les folies de la résistance ordinaire pour échapper à l'angoisse de la séparation ou de la mort soudaine. Il évoque aussi, toujours avec des mots simples, les exactions commises par les soldats russes, les atteintes aux droits de l'homme et l'horreur de la guerre, tout simplement.
A noter dans ces pages l'évocation des difficiles relations avec la Russie, revenant notamment sur l'Holomodor – famine organisée par l'Union Soviétique dans les années 1930 pour exterminer les nationalistes ukrainiens ou déclarés comme tels –, la collaboration avec l'Allemagne Nazie sous l'impulsion Stephan Bandera, et plus près de nous, l'invasion de la Tchétchénie. Cette dernière fut les prémices à l'invasion de la Crimée et du Donbass, qui font également l'objet de plusieurs chapitres, alternant pages de textes et de dessins, points de vue Russe (La triste histoire d'un soldat qui ne voulait pas comprendre) et Ukrainien.
Quelques réserves
La principale réserve de ce roman graphique est précisément son parti pris graphique. Il y a là beaucoup de subjectivité, mais le style qui marie dessins un peu réalistes, d'autres plus caricaturaux (en particulier les visages du quotidien) et les photos retouchées composent un ensemble assez disparate.
Si cette disparité m'a parue dérangeante, elle me semble pour autant bien faire comprendre la peur, l'angoisse, l'incompréhension, l'horreur des choses vécues et craintes, ainsi que la banalité sordide des faits de guerre.
Enfin, pour tempérer cette remarque, il faut souligner qu'à aucun moment le récit n'utilise les ressorts d'un voyeurisme morbide.
Encore un mot...
Les Cahiers Ukrainiens - Journal d'une invasion est en quelque sorte une suite à l'album qui avait été édité en 2010 sur le thème des "Mémoires du temps de l'URSS". Ici encore, la vérité des témoignages recueillis sur place ou par téléphone constitue la grande force de ce livre reportage qui met en dessin ce que la photo n'aurait pas pu, dans de nombreuses situations, décrire ou suggérer.
Dans l'univers de la bande dessinée, cette nouvelle initiative d'Igort compose un ouvrage marquant, hors du commun par son actualité, sa vérité frappante, son style et son contenu. Elle invite ainsi à dépasser les éventuelles réserves sur son traitement graphique pour ancrer ces récits de résistance dans la mémoire de nos vies ordinaires.
Une illustration
Une phrase
Igor Tuveri, dit Igort, est un auteur de bandes dessinées italien. Il a été pendant 17 ans le directeur éditorial d'une société d'édition de bandes dessinées. Depuis une quarantaine d'années, il a produit de très nombreuses histoires dont il a composé scénarii et dessins, et écrit des scenarii pour le cinéma. Il est également l'auteur de deux autres "cahiers", l'un dédiée à la guerre du Caucase, l'autre au Japon. Il a reçu à deux reprises le prix italien du meilleur auteur de bandes dessinées, le Prix Michelluzzi, dont le dernier, en 2016, honorait la réalisation des Cahiers Japonais.
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