Le Premier Homme
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Thème
Albert Camus en est le symbole: l'Algérie, ce n'était pas si simple...
Algérie, automne 1913, en pleine nuit, sous la pluie. Pelotonnés sur le siège d’une petite voiture, deux hommes hâtent leur attelage pour arriver le plus vite possible à Solferino. Le plus jeune des deux, en quête d’une vie meilleure, vient s’y installer avec sa famille. Allongée à l’arrière, sa femme est sur le point de donner naissance à leur deuxième enfant.
Arrivé à destination, Henri Cormery installe sommairement son épouse dans la modeste maison qui sera désormais la leur, saute à cru sur un cheval, et part à la recherche du médecin le plus proche. Lorsqu’il revient, il trouve son fils Jacques né des mains de la sage-femme du village. Avant de s’endormir, il songe au travail qu’il faudra entreprendre dès le lendemain dans le domaine dont il est à présent le gérant.
Points forts
Adapté du roman posthume d’Albert Camus, Le Premier Homme, porté par le dessin de soleil de Jacques Ferrandez, dépeint l’univers dans lequel grandit le Prix Nobel de littérature 1957. Le rapport au père, aux racines familiales et sociales, la construction de l’identité de l’homme autant que de l’écrivain tissent le puissant fil rouge de cet album ancré dans l’Algérie coloniale.
D’une fidélité presque sans faille au texte originel (pour les quelques libertés prises par l’album, voir l’interview de Jacques Ferrandez, CultureBox, 22 septembre 2017), Le Premier Homme décrit la vie d’une famille simple, à la limite de la pauvreté, dominée par deux figures de femmes, la mère et la grand-mère, l’une toute en dureté et en détermination, l’autre toute en douceur et en résignation silencieuse. La faiblesse relative des figures masculines du frère et de l’oncle souligne en creux le poids muet du grand absent : le père.
Le père ? « Un homme dur, amer, qui a travaillé toute sa vie. A tué sur commande, accepté tout ce qui ne pouvait s’éviter. Mais qui, quelque part en lui-même, refusait d’être entamé […] » Mort à 28 ans dans les premiers mois de la Grande Guerre, il ne connaîtra jamais ce fils qui, comme « des centaines d’orphelins [nés] dans tous les coins d’Algérie, Arabes et Français, [dut] ensuite apprendre à vivre sans leçon et sans héritage. »
Nous découvrons ces algériens modestes, issus d’une immigration de la misère, dont le quotidien se révèle très éloigné de l’opulence des grands propriétaires terriens largement dénoncés comme symbole des méfaits de la colonisation ; l’attachement viscéral de ce peuple d’artisans et d’agriculteurs à un pays qu’ils considèrent avoir bâti au prix de leur sueur et de leur sang ; leur relation complexe à une France qu’ils ne connaissent pas, qui avait rejeté leurs parents ou grands-parents, et qui ne les considère comme des citoyens à part entière que lorsque les maris et les fils doivent aller y mourir.
La poésie du dessin de lumière et la délicatesse de la palette aquarelle de Jacques Ferrandez nous immergent dans les sensations d’un univers du Sud de la Méditerranée aujourd’hui disparu. Le trait, précis et brouillé, retranscrit la vibration des grandes chaleurs, la brûlure du soleil, l’intensité des rapports humains, le désespoir muet d’une tristesse de femme, la violence des passions. La palette restitue la richesse, la délicatesse, le nuancier, des couleurs, des lumières, des sensations : blancheur d’Alger, fraîcheur du bain de mer, touffeur d’une cabine de bateau, langueur d’un après-midi sans école…
Quelques réserves
Jacques Ferrandez poursuit l’adaptation en Bandes Dessinées de l’œuvre de Camus. Saluons le courage et le talent que requiert ce projet entamé avec L’Hôte et L’Etranger, éd. Gallimard, 2009 et 2013. Cette fois, la réussite est, paradoxalement, presque trop au rendez-vous. En embellissant l’austérité de la vie d’une famille où « on s’occupe[e] […] d’abord de survivre », la beauté de l’image atténue presque trop l’âpreté et la rudesse véhiculées par le texte du roman.
Encore un mot...
Parce que Camus et son humanisme à hauteur d’Homme, dépourvu de jugement, sa philosophie de l’absurde, son appel urgent et vibrant à faire le bien maintenant, sur cette terre, dans cette vie…
Parce que M. Bernard, l’instituteur. Et la confiance redonnée dans la capacité de l’école à ouvrir toutes les portes aux enfants les moins favorisés en nourrissant « en eux une faim plus essentielle encore à l’enfant qu’à l’homme et qui est la faim de la découverte », parce qu’on « les juge […] dignes de découvrir le monde ».
Parce que l’Algérie et la France, cette histoire d’amour passionnelle, tumultueuse, violente, qui invite à (re)lire Le Onzième commandement André Rossfelder, éd. Gallimard, 2000, et sa vibrante injonction : « Tu seras fidèle aux tiens, surtout quand la nation les oublie ou les diffame. »
Une phrase
« Un homme, ça s’empêche ! Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… Moi, je suis pauvre. Je sors de l’orphelinat, on me met cet habit et on me traîne à la guerre… Mais je m’empêche !!! »
L'auteur
Jacques Ferrandez est né en 1955 à Alger dans le quartier Belcourt, le même qu’Albert Camus. Issu de l'École nationale d’Art décoratif de Nice, il lance sa carrière avec une suite d’histoires provençales : Arrière-pays, Nouvelles du pays, éd. Casterman 1982 et 1986. Il s’attelle ensuite à son histoire de l’Algérie coloniale vue au travers d’une saga familiale : les superbes Carnets d'Orient, éd. Castermann, 1987-2009. De 1997 à 2005, il adapte le cycle de L'eau des collines, de Marcel Pagnol, éd. Casterman. Avec Tonino Benacquista, il publie L’Outremangeur, éd. Casterman, 1998 et La Boîte noire, éd. Gallimard, 2000. Globe-trotter, contrebassiste de jazz, illustrateur de carnets de voyage (Sarajevo, Cuba…) et de magazines de Jazz, passionné de « bien manger », il crée avec le chef Yves Camdeborde la série Frères de terroirs, éd. Rue de Sèvres et France-Loisirs, 2014 - en cours.
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