Le Pouvoir des Innocents, Cycle 2

L'envers du rêve américain: noir, c'est noir...
De
Laurent Hirn, Luc Brunschwig, David Nouhaud
Aux Editions Futuropolis
Notre recommandation
3/5

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Thème

Novembre 1999. Prison de Rikers Island. New-York. USA. Six mois après l’évènement tragique et brutal ayant assombri la fin des élections législatives de Big Apple, la nouvelle maire démocrate récemment élue, Jessica Rupert, se rend à l’improviste dans la prison de Rikers Island afin d’engager un dialogue direct avec les détenus. Ce faisant, elle met en œuvre un de ses principes de campagne : une nouvelle race d’hommes politiques, de terrain, les mains dans le cambouis, au contact des vrais gens et de leur quotidien. Sans le savoir, elle sauve probablement aussi la vie de Joshua Logan, ex-Marine, traumatisé par son expérience au Viêtnam, père inconsolable de Timy, époux touchant de Xuan-Mai et homme le plus détesté des Etats-Unis.

Dans le même temps, à l’échelon national, la machine infernale de la campagne présidentielle est en train de se mettre en branle. Côté républicain, le clan Whitaker est bien décidé à tout mettre en œuvre pour permettre au fils prodigue, Wyatt Wkitaker, de reconquérir le bureau ovale abandonné par son père. Allusion à peine voilée à la famille Bush, tant par la personnalité des parents et enfants Whitaker que par les circonstances de l’accession au pouvoir suprême du dernier rejeton de la famille ‘régnante’. Ainsi, le dessin animé ayant Wyatt pour personnage central fait explicitement écho à l’excellent W d’Oliver Stone (2008), tandis que le décompte des voix pour le moins suspect renvoie directement à la situation pour le moins trouble rencontrée en Floride, alors gouvernée par son frère Jeb, ayant permis à George W. Bush de devenir  le 43ème président des Etats-Unis.

Points forts

Cet album poursuit avec bonheur la série cultissime du Pouvoir des Innocents, entamée en 1992. Les auteurs continuent de nous plonger avec détermination dans l’envers (l’enfer ?) du rêve américain. Le titre que chantait Johnny Halliday, Noir, c’est noir !, pourrait s’appliquer à cette Amérique désenchantée, société sans espoir, rendue, par l’effondrement de ses mythes fondateurs – le progrès pour tous, l’opulence grâce au libéralisme et à l’esprit d’entreprendre, égalité des sexes, races, … - à ses pires excès et démons – cynisme, chômage, appât du gain à tout prix, inégalités croissantes, racisme, sexisme et violence de tout ordre….

Dans cet environnement d’une noirceur sans nom, les personnages se  débattent pour tirer leur épingle du jeu. Certains le font pour satisfaire leur intérêt propre dans une vision très darwinienne de la société ; à l’image de la famille Whitaker, sosie à peine déguisé du clan Bush ou d’Angelo Frazzy, Capo di Tutti Capi aussi terrifiant que bouffon. On est bien loin des seigneurs de la pègre des Affranchis, titre originalGoodfellas, Martin Scorsese, 1990... D’autres essaient de se créer à leur échelle un monde, un peu meilleur, à l’image de Domi Coracci, porte-flingue en voie de rédemption grâce à la rencontre d’un amour aussi fou qu’improbable,  ou encore de Cyrus et Adam, couple de soixantenaires homosexuels et désabusés mais lancés dans un dernier combat civique après ceux menés dans les années 1960… On reste fasciné par ces personnages oscillant entre le fort et le faible, entre l’humain et le cynique, et toujours sur la corde raide. Benjamin Torrence, gardien de prison, incarne parfaitement cette ambivalence. Jumeau du John Goodman du déjanté The Big Lebowski des frères Coen, 1998, il met progressivement au service d’intérêts peu avouables la relative notoriété qu’un comportement simplement humain lui avait offert …

Quelques réserves

Les afficionados de la série pourraient commencer à trouver le temps un peu long. Très travaillés graphiquement, avec cette colorisation qui n’appartient qu’à eux, les albums étirent quelque peu une intrigue que l’on pourrait souhaiter plus condensée.

Encore un mot...

Un album à lire pour tous les amoureux de la série, de la politique, des mythes américains passés au vitriol – Steven Providence, petit frère jusqu’au boutiste de Mohammed Ali, en est l’exemple le plus abouti – de New-York, des intrigues policières noires, dures et nerveuses… 

Au travers d’une galerie de portraits attachants, dont Jessica Rupert est la tête de pont, les auteurs poursuivent ce roman noir qui nous invite à nous poser des questions fondamentales sur le type de société, de système politique, économique et social dans lequel nous voulons vivre. Et reste une question toujours non résolue : Joshua Logan arrivera-t-il à vaincre ses démons intérieurs et extérieurs pour enfin trouver la paix et le bonheur ?

Une phrase

« Eh bien, disons que depuis des années, et en dehors des photos de mon défunt mari – paix à son âme – et de mes huit enfants et vingt petits enfants, je n’ai que deux portraits accrochés à mon mur … Notre bon Pape Jean-Paul II pour tout le bien qu’il a fait dans le monde … et Steven Providence pour tout le bien qu’il nous a fait à nous autres, les Nègres ! »

L'auteur

- Laurent Hirn

Laurent Hirn est né à Chalons-sur-Marne. Une rencontre à onze ans avec les comics américains et leurs super-héros scelle son destin. Il sera dessinateur de BD. Ses études et premières expériences professionnelles tendront toutes vers ce but. En 1989, il rencontre le scénariste avec qui il commence immédiatement une collaboration : Luc Brunschwig. En 1992, paraît  Joshua, premier tome du Pouvoir des Innocents, publié aux Éditions Delcourt.

- Luc Brunschwig

Né le 3 septembre 1967 à Belfort, Luc Brunschwig commence sa carrière dans la publicité.  Rapidement, sa passion de la bande dessinée prend le dessus et le pousse à l’écriture de scénarios. Féru d’univers futuristes et très noirs, il  rencontre Laurent Hirn à l’occasion d’un Carrefour de l’Illustration du Livre. Le coup de foudre est immédiat et donne jour au Pouvoir des Innocents, étonnant thriller de politique-fiction.

- David Nouhaud

Né le 22 janvier 1976, à Périgueux, Dordogne, il berce vite avec, Nicolas Jarry, rencontré sur les bancs du lycée, le projet de se lancer dans la BD. Après quelques tâtonnements et des études plus "sérieuses", ou inversement, Nicolas Jarry, lui propose de reprendre leur ancien flambeau. C’est le début de Maxime Murène et de la vie d’auteur de BD. En 2011, il rejoint l’aventure du Pouvoir des Innocents.

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