L’accident de chasse
449 pages -
29 €
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Thème
Nous sommes en 1959. Le petit Charlie Rizzo, élevé par sa mère en Californie, vient vivre avec son père à Chicago suite au décès de celle-ci. Le père de Charlie, Matt Rizzo, est aveugle. Il raconte à son fils que c’est un accident de chasse qui a causé sa cécité.
La première partie du récit entremêle les relations de Charlie avec son père et son apprentissage de la vie dans les rues de Chicago. La ville fait honneur à sa réputation d’empire du crime organisé, et, presque naturellement, Charlie devient un petit malfrat. Impliqué dans un cambriolage, il est arrêté par la police.
C’est un choc pour son père qui, pour sortir son fils de cette spirale de violence, décide de lui raconter la véritable histoire de sa vie, en commençant par lui dévoiler la vraie cause de sa cécité : adieu la fable de l’accident de chasse et place à la vérité ! Ainsi débute la deuxième partie du récit.
On découvre que l’enfance de Matt ressemblait fortement à celle de son fils et qu’il est devenu aveugle suite à une tentative de vol. Il va alors connaître un double enfermement : celui, pour quelques années, de l’univers carcéral, et celui, pour toute sa vie, de l’obscurité qui l’entoure. C’est pourtant en prison qu’il va trouver son chemin de rédemption, par la rencontre décisive et inattendue avec un meurtrier très connu de l’histoire criminelle américaine, Nathan Léopold. Avec son complice et amant Richard Loeb, ils ont assassiné un jeune adolescent de 14 ans, sans autre motif que de prouver leur supériorité. Hitchcock s’était inspiré de ce tragique fait divers pour réaliser son film La Corde. Pour Matt comme pour Nathan, cette rencontre va être le début d’une longue et douloureuse démarche de rédemption.
Points forts
Cette histoire d’une amitié improbable, entre un assassin cynique et un malfrat aveugle, risque fort de s’emparer de votre esprit pour ne plus le lâcher. Bien que basé sur une histoire vraie, ce récit est construit comme l’allégorie d’un passage de l’obscurité à la lumière, une allégorie complexe, organisée autour de la lecture de la Divine Comédie de Dante. Nathan fait découvrir à Matt l’Enfer, le premier livre de cette œuvre. Et c’est le désespoir mêlé des deux hommes que l’on découvre, soutenu par un graphisme terriblement sombre de Blair, qui vous emmène tout près de l’envoutement. Dans deux combats inégaux, Matt affronte sa cécité et Nathan son double maléfique, son complice disparu, Richard Loeb. Mais, contre toute attente, Matt et Nathan vont triompher de leurs démons et entrevoir la lumière du Purgatoire (le deuxième livre de Dante).
Pour Matt, ce chemin vers la lumière est celui qui va le conduire à la poésie. Il va devenir écrivain et poète, et son fils, Charlie, va alors le redécouvrir et parcourir son propre sentier de rédemption. La transcription graphique de cette émotion, sur la dernière partie du récit, est assez incroyable. L’illustrateur, Landis Blair, après vous avoir emmené pendant près de 400 pages dans l’obscurité et la noirceur de l’Enfer vous délivre soudain de tout ce poids et vous émeut jusqu’aux larmes.
Quelques réserves
J’hésite à parler de points faibles, mais il vous faudra lever quelques freins potentiels pour apprécier cet ouvrage. Le dessin en noir et blanc est d’une grande richesse et d’une grande complexité mais peut paraître aride et rebutant de prime abord. Le texte doit beaucoup à de grands écrivains et poètes, comme Dante, mais aussi à cette poésie brute écrite par Matt Rizzo lui-même. Cela rend la lecture parfois un peu difficile.
J’avoue avoir un petit doute sur l’existence réelle de Matt Rizzo, qui apparaît comme un fantôme, un possible produit de l’imagination de Nathan Leopold, comme pour tracer son propre chemin de Rédemption. Mais après tout, peu importe, que l’histoire de Matt Rizzo soit vraie ou pas. Elle est belle, et c’est bien là l’essentiel.
Encore un mot...
Ici, l’expression « Roman Graphique » prend toute sa dimension. Ce livre est un roman, d’une magnifique qualité d’écriture, avec une visualisation graphique de tout ce que les mots ne pouvaient exprimer. Une véritable symbiose entre les deux arts. David Carlson, l’auteur du scénario, raconte comment son ami Charlie Rizzo lui a raconté son histoire. Lorsqu’il a commencé à vouloir la transcrire, il a mis du temps à trouver le bon angle avant de faire confiance, comme le poète John Keates avant lui, à « la vérité de l’imagination ». La poésie, en tant qu’Art, a tendance à disparaître de notre monde rationnel. Cette Bande Dessinée est une contribution à ralentir cette tendance, et m’a donné envie à moi, lecteur, d’en lire.
Cet album n’est pas une nouveauté car il est sorti en France en 2020 tandis que son édition originale date de 2017. Mais il a été récemment récompensé par le prix Ouest-France Quai des Bulles 202, notre Partenaire Culture-Tops, et a également obtenu le Fauve d’Or du meilleur album du Festival d’Angoulême 2021. Il nous a paru important, compte tenu de cette actualité, de vous proposer cette chronique un peu tardive.
Après le fauve d’or de l’an dernier, le Moi ce que j’aime, c’est les monstres d’Emil Ferris, nous avons une confirmation : l’Amérique de la Bande Dessinée a du talent. Et ce n’est pas un scoop.
Une illustration
L'auteur
(repris du texte de l’album)
David L. Carlson a été réalisateur, musicien, vendeur de voitures, concepteur d’expérience utilisateur, et il est le cofondateur d’Opéra-Matic, une compagnie d’opéra de rue à Chicago. Ceci est son premier livre.
Landis Blair est un illustrateur à la plume, connu dans le milieu de la BD indépendante à Chicago, pour ses dessins hachurés et ses livres d’images délicieusement morbides (!). Il vit actuellement à Chicago, où il travaille aux illustrations d’un prochain livre sur la mort ainsi que de plusieurs histoires de son cru.
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