La Jeunesse de Staline, 1. Sosso

La BD témoin-vérité et glaçant de l'histoire
De
Eric Liberge, Arnaud Delalande, Hubert Prolongeau
Editions Les Arènes - 71 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Russie, Tiflis, capitale de la Géorgie, 13 juin 1907. Embusqué sur le toit d’un des bâtiments qui encadrent la place centrale, un homme guette l’arrivée de la malle-poste, la pipe vissée au coin de la moustache. Il s’en sert bientôt pour allumer la mèche d’une explosion de violence qu’il observe ensuite, confortablement assis, avec un détachement tranquille et placide.

Union des Républiques Socialistes Soviétiques, Moscou, 1931, une nuit. Le même homme, devenu maître du nouvel Empire, décide de faire connaître sa vérité pour couper court aux dissensions qui se font jour dans le pays. Il sollicite donc le premier secrétaire encore présent au Kremlin à cette heure tardive. Commence alors la nuit la plus longue de la vie de cet homme terrorisé par les révélations qu’il se voit retranscrire sur le papier : les secrets de jeunesse de Joseph Staline, ‘Sosso’ !

Points forts

Dès la première page, immersion totale dans la folie criminelle d’un des plus grands meurtriers de l’Histoire, Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline. Cette plongée immédiate et oppressante est permise par des planches d’une densité extrême où les cadres mordent les uns sur les autres. Le dessin net, précis, sec, tout en nervosité, semble prolonger sur le papier les pulsions du cerveau malade de Staline. Le choix des couleurs finit d’enfermer le lecteur dans sa paranoïa. Ici, point de lumière, mais du noir, et toutes les nuances de gris. L’oxygène semble aspiré hors des pages que l’on parcourt en apnée. 

Seule touche de couleur : le rouge. Rouge du sang des tenants de l’ordre établi déchiquetés par les bombes révolutionnaires, des révoltés sabrés par les défenseurs du régime tsariste, et des victimes innocentes des convulsions de l’Histoire ; rouge des livres interdits car dangereux pour une société engluée dans un archaïsme sectaire ; rouge du foulard porté par les bolchéviques en signe de ralliement.

Impossible de se soustraire au spectacle glaçant de cette folie meurtrière qui progresse implacablement jusqu’à trouver dans la lutte armée le terrain propice à son déchainement. Impossible également de ne pas être saisi par le délitement de la Russie tsariste, société gangrénée par la misère et suicidaire dans sa volonté de préserver aveuglément un modèle déjà condamné par l’évolution des temps.

Impossible enfin de ne pas être marqué par la litanie des blessures de jeunesse où la folie de Staline puise sa source : deux frères morts avant sa naissance, un père alcoolique et violent, un pied palmé, la déchéance sociale de ses parents, la variole qui fait à jamais de lui ‘Le Vérolé’, deux accidents de voiture à cheval qui manquent de lui faire perdre l’usage d’un bras et le laissent à boiteux à vie …

Quelques réserves

Deux légers reproches pourraient être adressés à cet album:

- Tout d’abord, certains aspects de la déchéance du père de Staline auraient sans doute pu être traités avec davantage de sobriété.

- Ensuite et surtout, il arrive presque à susciter notre sympathie pour Staline tant l’accumulation de difficultés rencontrées au cours de son enfance ne peut laisser insensible.

Encore un mot...

Ou plutôt trois raisons pour lesquelles il faut lire La Jeunesse de Staline:

- Une, car elle nous emmène ‘au cœur du Mal’, pour comprendre comment un enfant d’abord aimé devint l’homme qui fut tout à la fois le sauveur de son peuple et son plus grand fossoyeur, des blés d’Ukraine, aux bagnes de la Kolyma en passant par les geôles de la Loubianka.

- Deux, car, alors que le monde est soumis à la menace du repli sur soi incarnée par le Brexit, le phénomène Donald Trump et les soubresauts de la campagne à l’élection présidentielle française, elle nous rappelle opportunément les ravages que peuvent causer un homme, une société, une Nation, lorsqu’ils ne se donnent plus d’autre horizon que leurs névroses obsessionnelles.

- Trois, car elle fournit un excellent contrepoint au non moins excellent, La mort de Staline, éd. Dargaud, 2010-2012, de Fabien Nury, Thierry Robin, Lorien Aureyre, où les possibles successeurs du Petit Père des Peuples, soulagés, désemparés, grotesques et sanguinaires se déchirent pour s’accaparer son héritage.

Une phrase

 « Mais le 18 décembre 1878, enfin … Je naquis !! Deux enfants morts pour que je vive ! Moi, je devais être, vois-tu ? »

L'auteur

- Le dessinateur : Éric Liberge. « Né avec un crayon dans les doigts », il embrasse véritablement la carrière de dessinateur quand les revues PLG, Ogoun et Golem acceptent de publier quelques courts extraits du Petit monde du Purgatoire. Le tome 1, Bienvenue, publié en 1998, éd. Zone créative, remporte le Prix René Goscinny 1999. Fort d’une riche production, il mène de 2004 à 2010, en collaboration avec Denis-Pierre Filippi un de ses projets phares, Les Corsaires d'Alcibiade, éd. Dupuis, collection ‘Empreintes’.

- Le scénariste : Arnaud Delalande. Repéré par Françoise Verny, il publie en 1998 son premier roman, Notre-Dame sous la Terre, éd. Grasset, qui obtient le prix Relay du Roman d’évasion. Suivent plusieurs ouvrages alternant entre roman historique et polar. Il participe également au développement d’une école de cinéma tout en conduisant une activité de scénariste pour le cinéma et la BD. Il signe ainsi plusieurs scénarios dont la remarquée série Aliénor, éd. Delcourt, 2012-2016.

Pour La Jeunesse de Staline, il collabore avec Hubert Prolongeau, journaliste, grand reporter, écrivain, essayiste et auteur de romans policier. Il publie ainsi en 2002 La Cage aux fous, éd. Librio, essai sur la vie quotidienne dans un hôpital psychiatrique de Paris où il se fait interner pour vivre de l’intérieur l’expérience qu’il relate.

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