La Demi-double femme
75 pages
18 €
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Thème
Aza est femme, cul-de-jatte, ne se sépare jamais de son chien, ne se déplace qu’en traîneau et règne depuis 10 ans sur la communauté des trappeurs du nord du lac Baïkal. Spécialisés dans la traque de la lucrative zibeline, ces hommes rudes doivent chasser au cœur de l’hiver sibérien auquel ils doivent d’abord survivre. Pour ce faire, ils ont prêté allégeance à cette femme excentrique à laquelle ils confèrent des pouvoirs quasi chamaniques.
Jason est américain, vaniteux et sûr de lui. Au cœur de l’hiver 1899, il rejoint cette communauté sibérienne avec la ferme intention d’en prendre le contrôle et de faire fortune. Dépourvu de toute expérience de trappeur, il est convaincu que son arrogance, ses deux fusils et son révolver belge dénommé « Percelair », qu’à l’instar d’une Durandal moderne il pare d’une aura quasi mystique, lui permettront d’arriver à ses fins.
L’hostilité entre Aza et Jason est immédiate, totale, indéfectible. Le « ralliement » rapide à Jason de deux membres de la communauté qui s’estiment lésés par Aza la transforme en une lutte à mort.
Points forts
Le dessin de Grégoire Bonne est superbe ! Deux aspects de son travail me semblent particulièrement notables. Tout d’abord, la maestria avec laquelle il nous immerge dans les grands espaces glacés de l’hiver sibérien. Ensuite, la finesse avec laquelle il restitue les visages des protagonistes. Ce travail sur leurs « trognes », notamment les plans serrés, leur donne une épaisseur et une humanité remarquables.
Quelle inspiration de Grégoire Bonne d’avoir situé l’action de son album dans le grand nord sibérien de la fin du XIX° ! Quel plaisir d’être emmené à la découverte de paysages et d’un univers dont j’avoue qu’ils me sont très largement inconnus. Il est impossible de ne pas faire un parallèle avec le Jack London de L’Appel de la forêt et de Croc Blanc.
Quelques réserves
Le duel à mort entre deux adversaires irréductibles est-il un thème nouveau ? Evidemment non car il a déjà été abondamment traité en littérature, au théâtre, au cinéma et en BD. Est-il possible d’être original à l’heure de s’en emparer ? La façon dont l’aborde Grégoire Bonne qui oppose, au-delà de deux personnages, les rapports au monde qu’ils incarnent, le démontre avec bonheur.
Aza est une femme qui, tout en vivant de la nature, en connaît les règles et en accepte la puissance et la domination. Pour reprendre l’expression employée par les marins ayant réussi à faire le tour du monde, elle sait qu’en fin de compte, « la mer [l]’a laissée passer ». Jason incarne quant à lui une culture brutale et cynique qui place la violence des rapports inter personnels et le pouvoir de l’argent en valeurs suprêmes.
Encore un mot...
Ne nous y trompons pas. La principale raison pour laquelle Asa et Jason s’affrontent est leur féroce appétit pour le pouvoir, pouvoir qui ne se partage pas. Il met paradoxalement en lumière leurs fragilités et leur fébrilité derrière leur assurance de façade.
Si Asa réagit aussi vite à l’arrivée de Jason, c’est qu’elle redoute de voir s’effondrer la domination qu’elle a patiemment établie sur cette communauté et qui lui permet d’exister au-delà de ce que sa condition d’infirme lui permettrait d’espérer dans la société de ce temps.
Si Jason projette l’image du « mâle dominant », tout en morgue et en signes extérieurs de réussite, c’est pour mieux masquer qu’il est un homme traqué, ruiné, exilé pour sauver sa vie et condamné à un succès rapide sous peine de perdre le peu qu’il lui reste.
Cette jolie réflexion sur le pouvoir nous renvoie à la nouvelle de Rudyard Kilping, The Man Who Would Be King (L’homme qui voulut être roi), 1888, et à son adaptation cinématographique par John Huston en 1975. Mais également au dialogue tiré du tome 5 de la série Largo Winch créée par Jean Van Hamme et Philippe Francq, H, où un roi Hmong explique au jeune Largo qu’un roi « est toujours un peu l’esclave de son peuple ».
Une illustration
L'auteur
Grégoire Bonne est un ingénieur qui dessine pour la publicité, la communication d’entreprise et la presse jeunesse. Il réalise également de courts récits de bande dessinée pour les collectifs RAVmag et Fraktory tout en faisant vive son blog dédié à ses recherches graphiques. En 2011, il se lance dans l’expérience du Pavé Numérique en réalisant Les Moines tatoués sur un scénario d’Antoine Kirsch. Il est également co-organisateur de l’atelier de modèle vivant de la Grande Masse à Paris et enseignant en dessin d’observation à l’Académie Brassart-Delcourt. En 2017, il signe le remarqué Quatre jours de descente aux éditions Mosquito.
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