Ils ont tué Léo Franck

Une histoire méconnue à (re) découvrir absolument
De
Dessins : Olivier Perret, Scénario : Xavier Bétaucourt
Editions Steinkis,
p. 104
Notre recommandation
4/5

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Thème

L’univers du roman graphique s’enrichit d’un nouvel ouvrage, qui mérite toute votre attention. « Ils ont tué Léo Frank » relate l’histoire vraie de Léo Frank, un industriel juif américain, accusé du meurtre d’une de ses jeunes ouvrières en 1913, à Atlanta. La date et le lieu sont importants, car cela nous replonge dans le sud profond des Etats-Unis, à une époque où la ségrégation était encore une évidence.

Petit rappel des faits : lorsqu’on retrouve le corps de Mary Phagan, 14 ans, deux suspects vont assez vite être identifiés : l’un est un balayeur noir, pauvre et alcoolique, l’autre est un riche patron d’usine. Tout semble donc joué d’avance, sauf que ce patron, Léo Frank, est juif. Du coup, cette histoire prend, toute proportion gardée, des allures d’affaire Dreyfus à l’Américaine. C’est, d’ailleurs, à la suite de cet événement qu’a été créée aux Etats-Unis “l'Anti Defamation League”, afin de soutenir tous les Juifs contre des attaques antisémites.

La construction scénaristique du récit est très intelligente et s’appuie sur un travail documentaire impressionnant. Le récit commence par son dénouement, que je pense pouvoir évoquer sans passer pour un divulgâcheur. Léo Frank sera sorti de sa prison, où il purgeait sa peine, pour être lynché par une foule hétéroclite, incluant de nombreux notables locaux. Puis l’histoire reprend à son début, et nous allons suivre le drame proprement dit, l’enquête de police plutôt bâclée, et jusqu’au déroulement du procès, un peu fastidieux, mais qui montre bien la complexité de cette affaire.

Points forts

La pédagogie du scénario est le grand point fort de cette histoire. Malgré le nombre important de personnages ayant eu un rôle clé dans cette histoire, les auteurs réussissent à ne pas nous perdre et à garder un fil narratif cohérent et assez passionnant. Au contraire, la multitude de ces personnages devient une force de cette BD, tant ils sont fascinants. Rarement, après une lecture, j’ai passé autant de temps sur des sites internet pour en apprendre plus sur chacun d’eux, les deux accusés en tête : Léo Frank, sorte de Buster Keaton mutique, et Jim Conley, qui, sous des dehors d’ivrogne violent, montre une personnalité beaucoup plus subtile et retorse à la fois. Mais on s’attache aussi à une galerie de personnages qui donnent beaucoup de densité à ce récit et au contexte sur lequel il s’appuie. On sent la moiteur du sud profond à chaque page, en particulier pendant le procès, qui se déroule sous une température caniculaire. Ces conditions auront d’ailleurs une conséquence importante : le procès aura une audience imprévue, celle de la rue, qui suivra le procès sous les fenêtres du tribunal restées ouvertes.

Le traitement graphique d’Olivier Perret est superbe, mais il faut également citer le coloriste de cette BD, Paul Bona, car l’ambiance créée par des teintes ocres qui dominent sur presque toutes les pages renforcent encore notre impression de pénétrer ce sud étouffant.

Quelques réserves

Cette histoire crée un malaise qu’il est parfois difficile d’accepter : que les deux accusés représentent à ce point deux archétypes historiques de l’histoire du racisme et de l’antisémitisme rend parfois difficile la lecture. Il faut absolument dépasser une lecture primaire en mode « mais qui c’est le méchant ? », pour profiter de ce récit et de ce qu’il nous enseigne sur l’époque.

Encore un mot...

Vous pouvez commencer par regarder la toute dernière page de cet ouvrage : on y voit une photo du lynchage de Léo Frank, avec les auteurs de ce crime, ou peut-être tout simplement des curieux, qui posent auprès de la victime encore suspendue, comme si c’était une quelconque photo de famille. Il faut lire cette BD, au moins pour ne pas oublier la « normalité » pas si lointaine de ces images. La plaidoirie de l’avocat de Léo Frank est particulièrement glaçante pour évoquer ce contexte (voir l’image ci-dessous).

Enfin, si cette BD fait œuvre utile, c’est aussi et surtout un très bon roman graphique, passionnant et graphiquement très abouti. Contrairement à certaines BD, où le message prend trop de place, ici, on prend un réel plaisir à découvrir tous les protagonistes de cette affaire, et à suivre leurs parcours, entre lâcheté, héroïsme et vie ordinaire, telle qu’elle pouvait être à cette époque et dans cette région.

Une illustration

L'auteur

 (d’après BDGest)

Olivier Perret (19/10/1980), alias Pero, a étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Tournai, dont il sort diplômé en 2006. Il est cofondateur, en 2007, de la revue Cheval de Quatre dans laquelle il publie régulièrement (www.chevaldequatre.be). Il publie jusqu'en 2016 sous le pseudonyme “Pero” avant de signer de son vrai nom à partir de l'album Journées rouges et boulettes bleues, édition La Boîte à Bulles, avec Rémy Benjamin au scénario et aux couleurs et Cyprien Mathieu au scénario.

Xavier Bétaucourt est né à Lille. Enfant il découvre des classiques tels que Tintin, Astérix et Gaston Lagaffe, puis les Comics US, avant de revenir à la bande dessinée franco-belge lorsque adolescent, il lit Blueberry. Il suit une formation de Lettres puis de filmologie. Puis il commence à travailler en tant que journaliste pour une télévision régionale et c'est par le biais de son travail qu'il se réalise aujourd'hui en tant qu'auteur de bandes dessinées. L'actualité demeure pour lui une importante source d'inspiration, même si l'idée de réaliser une œuvre de pure fiction, demeure pour lui, une éventualité intéressante.

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