Gauloises

Cigarettes, flingues et ballet mortel en Italie !
De
Serio, Igort
Ed. Futuropolis
83 p.
17 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Ciro est né à Naples et vit à Milan. Ciro est froid, élégant et sans états d’âme. Ciro est devenu tueur à gages presque par hasard et porte un chapeau. Ciro a une approche méthodique et professionnelle de son métier. 

Aldo est né en Sardaigne et vit à Milan. Aldo est un géant, boxeur raté qui a fui son île. Aldo est devenu tueur à gages pour survivre et porte un pardessus. Aldo est l’homme de main du Roi de la Mala, le parrain local.

« Aldo venait de l’île. Ciro du pays de la mélodie. » Ciro fume des Gauloises ; Aldo aussi. Ciro est fan de football ; Aldo aussi. Ciro est adroit avec « l’outil du métier » ; Aldo aussi.

Pupa le ventriloque a été tué. Pupa était le protégé du roi de la Mala. Le tueur doit payer. Aldo doit s’en charger. On soupçonne Ciro.

Points forts

Le scenario d’Igort est implacable. Structuré en courts chapitres thématiques, il raconte tour à tour l’histoire des deux tueurs avant de mettre en place la mécanique implacable qui débouchera sur leur affrontement. Elément singulier, les personnages de Gauloises ne disent pas un mot. L’histoire est racontée par des bulles qui exposent et commentent l’intrigue. Cette « voix-off » est économe de mots, discrète mais prenante, souligne l’essentiel et laisse de nombreuses vignettes silencieuses, portées par la magie du dessin de Serio. 

Celui-ci est une merveille d’élégance, de finesse et de délicatesse. Chaque vignette est un petit tableau à elle seule. Comment le décrire ? Pour arriver à un début de réponse, il faudrait imaginer une rencontre entre le pointillisme de Seurat, la simplicité naïve des coloriages d’enfants et l’univers silencieux d’Edward Hopper. En outre, Serio parvient à donner une épaisseur incroyable à des personnages qui, encore une fois, ne disent pas un mot de l’album. 

Gauloises est baigné d’influences cinématographiques auxquelles il rend un joli hommage. On retrouve ainsi dans le personnage de Ciro beaucoup du Samouraï de Jean-Pierre Melville (1967) et des figures de Noodles et de Max du Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984). Aldo fait quant à lui parfois penser au Rocky Balboa du premier opus de la série. 

Enfin, la rencontre finale entre les deux tueurs renvoie immanquablement à celle mettant face à face les personnages du Lieutenant Vincent Hanna et du gangster Neil MacCauley, joués respectivement par Robert de Niro et Al Pacino, dans le Heat de Michael Mann (1995). On y retrouve la même tension et le même respect entre deux personnages que tout oppose et qui savent qu’ils devront immanquablement s’affronter les armes à la main.

Quelques réserves

Gauloises n’est pas terminé ! Tout en donnant une direction finale claire, l’affrontement inéluctable entre Aldo et Ciro et la mort tout aussi inéluctable de l’un d’eux, les auteurs laissent néanmoins le lecteur en face de nombreuses inconnues : Quand cet affrontement aura-t-il lieu ? Où ? Comment se déroulera-t-il ? Qui l’emportera ? Comment le vainqueur parviendra-t-il à vivre au-delà de cette rivalité ? 

Si certains apprécieront d’être ainsi autorisés à imaginer l’issue qu’ils souhaitent à ce bel ouvrage, d’autres pourraient voir dans ce un dénouement final inachevé une faiblesse scénaristique source d’une certaine frustration.

Encore un mot...

A l’instar des volutes de fumée des cigarettes, Gauloises est un album en suspension qui donne l’impression de flotter dans une temporalité et une géographie qui lui sont propres, où rien n’est totalement ni dit ni abouti et où tout est largement elliptique. 

Ainsi les histoires de Ciro et d’Aldo recèlent-elles de nombreuses zones d’ombre tandis que la belle Veronica meurt pour des motifs bien mystérieux et que l’on se demande quelles étranges raisons poussent Aldo à exécuter le ventriloque Pupa dont tous à Milan savent qu’il est le protégé d’un puissant mafieux. 

Ces points de suspension graphiques et scénaristiques créent une atmosphère envoutante, presque éthérée, par laquelle on se fait insidieusement happer et qui laisse au cœur une fois l’album refermé une réelle mélancolie, et l’envie de s’y replonger immédiatement.

Une illustration

L'auteur

Igort, de son vrai nom, Igor Tuveri, est né en Sardaigne. Il démarre sa carrière d'auteur de BD au tournant des années 80. Publié en France, il connaît une véritable reconnaissance internationale grâce à sa collaboration avec différentes revues et la traduction de ses albums en 7 langues. Ses thèmes de prédilection sont le polar, le jazz et l’actualité de notre en temps comme en témoignent les ouvrages suivants : Sinatra, éd. Amok éditions, coll. Soprano, 2001 ; 5 est le numéro parfait, éd. Casterman, 2002 ; Fats Waller, éd. Casterman, 2004-2005 ; Les Cahiers Ukrainiens, éd. Futuropolis, 2010 ; Les Cahiers Russes, éd. Futuropolis, 2012 ;

Andrea Serio est né en Toscane. Après des études artistiques, d’illustration et de design, il démarre sa carrière en réalisant des illustrations de livres et albums ainsi que des thèmes graphiques de bande son de films. A partir de 2007, il élargit son répertoire à de nombreuses couvertures, affiches, campagnes publicitaires qui lui donnent une notoriété internationale grâce à de grands festivals qui lui consacrent des expositions (Festival du Livre de Turin, Festival International Babel d’Athènes, Futurismi..).  En 2012, publie son premier roman graphique, Nausicaa, l’autre Odysée, éd. Pavesio, avec le célèbre Bepi Vigna au scenario. En 2020, c’est le tour de Rhapsodie en bleu, éd. Futuropolis, 2020.

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