Désintégration

La Comédie Humaine, version hautes sphères de la politique
De
Robin Recht et Matthieu Angotti
Editions Delcourt - 140 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Mathieu, 35 ans, spécialiste du monde associatif, rejoint le cabinet du Premier Ministre Socialiste, Jean-Marc Ayrault. Pendant 18 mois à Matignon, il connaît l’ivresse du succès, la fascination des ors de la République et se laisse parfois griser par une importance artificielle conférée par le sentiment « [d’] être au cœur de l’action » et « [d’] avoir prise sur le monde ».

Il découvre aussi la dureté du monde politique pour ceux qui n’en maîtrisent pas les codes ; les fragiles solidarités gouvernementales que fait voler en éclats le moindre frottement d’ego ; l’âpreté de la confrontation avec un univers médiatique aussi caricatural que friand de raccourcis ; la menace que fait peser sur sa famille son rythme de travail ; la brutalité extrême des fins de cabinet.

Points forts

Bienvenue dans l’univers impitoyable de Matignon ! Rendons hommage à Mattieu Angotti pour l’honnêteté avec laquelle il relate cette expérience incomparable du quotidien des cabinets ministériels. Il autorise ainsi les néophytes de la politique à passer de l’autre côté du miroir pour y découvrir la réalité de l’action gouvernementale, loin des poncifs ou de la vie rêvée des « grands de ce monde » … Remercions-le également pour la franchise et le courage avec lesquels il affiche ses idéaux, tout en assumant la vérité nue de la difficulté à les faire se réaliser à l’épreuve du pouvoir.

Louons enfin la lucidité, l’autodérision, le recul et le 2nd degré dont il fait preuve tout au long de ce récit à la première personne. Il y est à la fois acteur, observateur et narrateur d’une action où il n’hésite pas à pointer ses propres contradictions. L’ironie douce-amère de l’ouvrage renvoie à celle des excellentissimes chroniques de voyage de Guy Delisle – Shenzen, éd. L’Association, 2000 ; Pyongyang, éd. L’Association, 2003 ; Chroniques Birmanes, éd. Delcourt, 2007 ; Chroniques de Jérusalem, éd. Delcourt, 2011.

Graphiquement, Désintégration fait le pari d’une composition originale : toutes les pages sont divisées en 6 cases de taille égale. L’image peut être « éclatée » en 1, 2, 3, 4, 5, 6 cases, multipliant les possibilités de cadrage et de narration visuelle. Si une seule image peut occuper plusieurs cases, le lecteur devra s’arrêter sur chacune d’entre elles, dans la mesure où elles sont toutes accompagnées d’un morceau de texte à part entière. Ce décalage de rythme entre l’image et le texte crée un dynamisme particulier, mobilise en permanence l’attention du lecteur et donne le sentiment de plonger jusque dans les pensées privées du narrateur pour en partager l’intimité, créant ainsi un plaisir de lecture aussi profond qu’original.

Le choix d’un dessin expressionniste soutenu par un noir et blanc intransigeant, égayé uniquement d’à plats gris, parmes ou ocres, à l’exception des 3 couleurs du drapeau national, participe aussi de la forte identité visuelle de Désintégration. Tout le talent du dessinateur à restituer une émotion se retrouve dans un coin de lèvre qui remonte, un œil qui s’écarquille, un sourcil que se fronce. On sent ainsi sourdre de chaque bulle le stress des réunions, l’ivresse, la tension et l’exaltation consubstantiels à la vie à Matignon.

Quelques réserves

Certains pourraient trouver le dessin trop naïf et pas assez réaliste. D’autres pourraient trouver le propos par trop désabusé. Mais on pourrait taxer ceux-ci et ceux-là de ‘chercher la petite bête’...

Encore un mot...

Il est salutaire d’ouvrir Désintégration en cette période de grands choix électoraux. Sa lecture permet de se rappeler que la politique ne se résume pas à des incantations télévisuelles ; qu’elle est aussi le fait de femmes et d’hommes qui, dans l’ombre, travaillent d’arrache-pied, le sens de l’intérêt collectif chevillé au corps.

Elle rappelle également la noblesse de la chose publique et la difficulté extrême que rencontre ceux qui se battent pour faire bouger les lignes d’une société aux résistances multiples. Et l’énergie et la détermination incroyables dont ils font preuve, à côté de motivations parfois trop humaines, pour obtenir des résultats dont la finesse peut parfois provoquer une certaine amertume, qu’il faut malgré tout surmonter.

Désintégration rejoint donc avec élégance le mordant Quay d’Orsay, Christophe Blain, Abel Lanzac, 2010-2012, éd. Dargaud, et le film éponyme réalisé par Bertrand Tavernier en 2013, au rayon des essentiels de la BD politique.

Une phrase

« Alors on cédait […] à la tentation du bunker. Oubliant que le salut était ailleurs: dans l’ouverture au monde de la machine gouvernementale. Dans l’effort pour sortir nos têtes de conseillers de nos 4 murs. Et dans celui d’y faire entrer les citoyens, jusqu’au sommet de l’Etat. »

L'auteur

- Mattieu Angotti, dont l’expérience à Matignon a alimenté le scenario de l’ouvrage. Auparavant ce diplômé d’HEC, titulaire d’un DEA en Politiques sociales, fut responsable du département « Évaluation des politiques sociales » au Crédoc et directeur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. Après avoir quitté Matignon, ce spécialiste des politiques de solidarité et des enjeux sociétaux relatifs à la jeunesse a pris la direction du Centre communal d’action sociale de Grenoble.

- Robin Recht se forme aux Arts décoratifs de Paris avant de démarrer son parcours professionnel dans les jeux de rôles. En 2002, il réalise sa première BD, le Dernier Rituel, éd. Soleil, avec Grégory Makles, rencontré sur les bancs des ‘Arts Déco’. Fidèle à ses camarades d’école, il publie en 2005 avec Gabriel Delmas Acte 1, premier tome de la série médiévale, Totendom, éd. Les Humanoïdes Associés. Suivront Le Troisième Testament – Julius, sur un scénario de Xavier Dorison, éd. Glénat, 2010 ; puis en 2012 le tome un de Notre-Dame, éd. Glénat, en collaboration avec Jean Bastide

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