Corto Maltese, Océan Noir
166 pages
22 €
Infos & réservation
Thème
Corto Maltese est de retour. Dans le monde de la BD, c’est toujours un évènement. De plus, c’est une nouvelle équipe qui reprend les aventures du mythique personnage, succédant ainsi au tandem Canales-Pellejero à qui l’on doit les 3 premiers albums parus après la mort d’Hugo Pratt.
Cette nouvelle équipe est constituée par Martin Quenehen au scénario et Bastien Vives au dessin.
Corto Maltese a été créé par Hugo Pratt à la fin des années 60. Il s’est imposé peu à peu comme un héros majeur de la Bande Dessinée. Marin d’origine Maltaise né en 1887, Corto va vivre ses aventures tout au long du XXème siècle naissant. Anti-héros et poète, il va imposer dans la galerie des personnages de la BD de ces années 60-70 une figure à contre-courant des héros classiques.
Première surprise de cette BD, l’histoire d’Océan Noir se situe au début du XXIème siècle, au moment des attentats du 11 septembre (l’évènement est évoqué plusieurs fois au cours du récit, mais sans lien avec l’histoire proprement dite). Dans ce contexte, Corto Maltese va se trouver aux prises avec une secte de fanatiques japonais nommée Océan Noir, lancée à la recherche d’un trésor national historique. Cette confrontation va l’amener à voyager du Japon à l’Amérique du Sud, en s’enrichissant d’autres rencontres. Corto va ainsi croiser un pilleur de tombes plutôt sympathique, un agent de la CIA, un flirt de jeunesse, et, cerise sur le gâteau pour les fans de Corto, son meilleur ami-ennemi, le fameux Raspoutine.
Points forts
Cette nouvelle aventure de Corto Maltese est très surprenante. Elle casse deux codes essentiels de la série, la temporalité, et la charte graphique. Les histoires originales de Corto, y compris les reprises de Canales et Pellejero, se passaient au début du XXème siècle. Situer cette nouvelle aventure une centaine d’années plus tard était un pari risqué. Si on ajoute à cela un graphisme en rupture avec le trait original, il y a de quoi déstabiliser les puristes du marin maltais.
J’avoue avoir été victime de ce doute en commençant ce récit, mais le double talent du scénariste et du dessinateur ont finalement emporté mon adhésion. Quenehen réussit à allier la modernité de la situation à l’esprit qu’insufflait Hugo Pratt dans ses histoires. La poésie et l’absurdité apparente prennent le pas sur l’aventure proprement dite et l’on se retrouve plongé dans une aventure, dont on a l’impression qu’elle n’aurait pas été reniée par le célèbre créateur de Corto. La fin de l’histoire, dont je ne dirais rien ici, est une petite merveille.
Le dessin de Vives, dont on connait le talent depuis longtemps, met quelques pages à nous convaincre. Comme pour le scénario, il faut oublier le héros original, tellement inscrit dans nos mémoires, pour accepter cette nouvelle représentation. Le trait de ce talentueux dessinateur est fait de légèreté et de pureté graphique. Il réussit à nous emporter dans cette aventure aussi bien par la vie qu’il insuffle à tous ses personnages que par la grâce des décors et l’élégance de son noir et blanc. C’est aussi une part de la magie de cet album que de retrouver, malgré toute cette modernité, l’esprit « noir et blanc » des premiers Corto.
Quelques réserves
Il n’y a qu’une réserve pour cette BD, mais elle est de taille : il faut accepter tous les paris transgressifs qu’elle prend. Si, pour moi, ces paris sont gagnés, je pense que beaucoup de lecteurs, fans de l’original auront du mal à me rejoindre dans cet enthousiasme, et je le comprendrais.
La couverture de l’album, où l’on voit Corto et sa compagne Freya accoudés à un bateau, m’a évoqué, spontanément, une représentation de Valérian et Laureline, les héros d’une célèbre série de science-fiction. Autant dire qu’en commençant ce récit j’étais plutôt peu convaincu et même persuadé que ma chronique allait être négative.
Encore un mot...
UN NOUVEAU CORTO
Contrairement à la première reprise des aventures de Corto Maltese, qui s’inscrivait dans une sage et talentueuse continuité, on est plus ici en présence d’un « reboot », comme il en existe au cinéma. On reprend le héros, mais on en fait quelque chose de totalement différent, tout en gardant l’esprit de l’original. C’est ce que réussissent ici Bastien Vives et Martin Quenehen. La clé de cette réussite, de mon point de vue, tient dans la poésie inspirée de cette histoire. Je crois qu’elle aurait plu à Hugo Pratt… Mais ça n’engage que moi !
Une illustration
L'auteur
(d’après le site de Casterman)
Auteur de recherches historiques, sur les Mérovingiens et les cités HLM, et d’émissions radiophoniques éclectiques pour France Culture (Jeanne d’Arc, Tupac, Ping Pong...), Martin Quenehen a le goût de l’enquête. Il a signé le roman d’un prof de banlieue, Jours tranquilles, et le documentaire Sur la trace des faussaires. Son premier roman graphique, Quatorze Juillet, était déjà une collaboration avec Bastien Vives.
Né en 1984, Bastien Vivès est le chef de file d’une génération d’auteurs qui mêlent volontiers bande dessinée franco-belge, manga, animation et jeu vidéo. Avec Le Goût du chlore, prix Essentiel Révélation à Angoulême en 2009, il impose un style, confirmé par le succès public et critique de Polina (Grand Prix de la critique en 2012), Le Chemisier ou encore Quatorze juillet.
Ajouter un commentaire