Contrapaso 1. Les enfants des autres

Nous savions lire et écrire et nous aimions rire de tout
De
De Teresa Valero
Ed. Dupuis -
144 pages -
15 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

1939, fin de la guerre civile espagnole et prise du pouvoir par Franco. Un mystérieux criminel se met à tuer des femmes dans Madrid tandis qu’Emilio Sanz y débute sa carrière de journaliste. Ancien phalangiste ayant perdu sa fille et ses illusions pendant le conflit, il trouve dans l’excès de tabac, de café et d’alcool l’énergie pour demeurer fidèle à la pensée de Camus selon laquelle un journaliste peut rester libre « face à la suppression de la liberté de la presse […] par la lucidité, le refus, l’ironie et l’obstination ». En février 1956, il est en charge des faits divers au journal La Capitale lorsqu’une femme est retrouvée morte dans un lac.

Léon Lenoir a 24 ans. Fils d’une héritière de la grande bourgeoisie madrilène et d’un communiste français venu se battre pour sauver la république espagnole, neveu d’un général de l’armée franquiste qui l’éleva comme un fils après la mort de son père et l’internement de sa mère, il renonce à la France et à une prometteuse carrière à L’Express pour revenir en Espagne où il espère retrouver Paloma, sa cousine, avec laquelle il vécut un douloureux amour de jeunesse.

De cliniques psychiatriques en prisons pour femmes en passant par les cités ouvrières, les manifestations étudiantes et les cellules où torturent les nervis du régime, leur enquête va emmener ces deux hommes que tout oppose a priori à la découverte des recoins les plus sordides du régime franquiste, tout en les forçant à une confrontation sans concession avec eux-mêmes.

Points forts

Contrapaso c’est la rencontre avec une Espagne inconnue, celle de l’apogée du régime franquiste et du verrouillage autoritaire de la vie politique sociale et culturelle d’une société froide, triste et corsetée. C’est la « grande » Histoire qui s’invite dans la « petite » au détour d’une conversation trop arrosée entre les deux principaux protagonistes.

C’est un scenario impeccable, glaçant mais parsemé de touches d’humour. Il s’ouvre sur une piste prometteuse, la traque que mène depuis dix-sept ans Emilio Sanz, pour bifurquer aussitôt sur une autre, celle de crimes commis par des médecins ayant troqué le respect du serment d’Hippocrate pour celui prêté au régime du Caudillo, pour se conclure par un retour au point de départ, dans une conclusion en forme d’ouverture… laissant espérer une suite que l’on attend déjà avec impatience.

Ce sont des histoires de femmes aussi superbes que douloureuses. Une description crue des violences physiques, symboliques et psychologiques qui leur sont infligées impunément par un régime et une société archaïques. Elles accompagnent, illustrent et complètent une réflexion profonde sur notre rapport à la parentalité, à la famille et à la transmission.

C’est enfin un dessin magnifique, riche de ses contrastes, délicat et débordant d’énergie, poétique et violent, philosophique et animal, porté par une palette de couleurs qui restitue magistralement l’ambiance clair-obscur d’une société sous cloche.

Quelques réserves

Il y a des sources d’inspiration scénaristiques et graphiques communes entre Contrapaso et le génial Blacksad : intrigues placées au cœur des années 1950 ; restitution millimétrée de l’époque grâce au souci maniaque du détail apporté aux décors, costumes et accessoires ; personnages principaux que leur part d’ombre rend d’autant plus attachants ; jubilatoire galerie de personnages secondaires – l’inspecteur de police père de six enfants informateur officieux d’Emilio Sanz est notamment mémorable ; intrigues très noires à multiples tiroirs ; explosions de violence graphique aussi soudaines que débordantes d’énergie… Peut-être pas étonnant quand on connaît les liens qui unissent Teresa Valero, l’auteur de Contrapaso, et les pères du légendaire chat détective, Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido. Alors, une faiblesse ? Plus certainement la garantie d’un inépuisable plaisir de lecture.

Encore un mot...

Découvrir avec bonheur une variation inédite du thème du duo de héros mal assortis, où le plus ancien n’est peut-être pas aussi cynique qu’il le revendique, tandis que le plus jeune n’est sans doute pas aussi naïf qu’il le laisse paraître.

Repérer avec un plaisir de gourmet les clins d’œil au James Ellroy du Dahlia Noir, au Denis Lehanne d’Ellis Island, au David Fincher de Seven.

Etre secoué par l’acuité de la réflexion, ô combien d’actualité en ces temps de pandémie, sur la nature des rapports entre Science et Politique lorsque la première met sa crédibilité et le poids de son savoir au service de la légitimation d’une dangereuse idéologie.

Une illustration

L'auteur

Née à Madrid le 23 juillet 1969, passionnée de dessin, Teresa Valero suit initialement des études d’administration en entreprise… En 1990, elle rejoint l’équipe des studios Lapiz Azul où elle travaille sur des séries TV. C’est à cette époque qu’elle rencontre Juanjo Guarnido et Juan Diaz Canales. Les futurs pères du mythique Blacksad, et pour le second nommé son futur mari, lui font découvrir le milieu de la BD. Après des expériences sur des séries TV et des longs métrages d’animation, elle fonde en 1996 le studio Tridente Animation. Elle enseigne également le story board, l’animation et la narration à l’Université de Madrid. Sorcelleries, 2008-2012, éd. Dargaud, avec Juanjo Guarnido au dessin, marque son entrée dans la BD. La série Curiosity Shop, 2011-2013, éd. Glénat, créée avec la dessinatrice espagnole Monste Martin, affirme son statut de scénariste. En 2020, elle lance la série Gentlemind aux éd. Dargaud, en collaboration avec Juan Diaz Canales et Antonio Laponte.

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