Celestia
30 €
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Thème
Parler de thème pour cette BD est déjà hasardeux. En faisant référence à un genre bien établi en Bandes Dessinées, le Roman Graphique, je dirais qu’ici, nous sommes en présence d’un « Poème Graphique ». Manuele Fior nous propose une balade onirique dans une Venise futuriste, renommée Celestia du nom d’un quartier de Venise, le Campo della Celestia. On comprend que le monde a subi une catastrophe humanitaire, appelée « l’invasion », et que le récit se situe dans la période qui a suivi cette catastrophe. Mais on n’en saura pas plus.
La balade que propose l’auteur, c’est celle de ses deux Héros, Pierrot et Dora, des télépathes qui vont s’offrir un long périple dans cette ville et la lagune qui l’entoure. Pierrot traîne avec lui un lourd souvenir, lié à sa mère, que Dora lui rappelle régulièrement en fouillant plus ou moins involontairement dans son cerveau. Dora, elle, est une jeune femme instable, perturbée par ses pouvoirs de télépathie qu’elle ne contrôle pas vraiment.
Tous les deux ont surtout l’air paumé et errent sans but dans Celestia, jusqu’au jour où ils quittent l’île pour se rendre dans la lagune qui l’entoure.
Ce voyage les conduit à visiter d’étranges châteaux, habités par de tout aussi étranges personnages, et va peu à peu se transformer en une quête initiatique. Nos deux héros vont se confronter à leur destin, et les rencontres qu’ils vont faire vont être comme des miroirs reflétant leurs propres vies, présentes ou à venir. En particulier, ils vont croiser « l’enfant » (qui n’a pas d’autre nom), qui va être leur guide, et qui semble symboliser le futur d’une Humanité en reconstruction. Cet enfant, en les accompagnant, va les aider à se révéler et à s’accepter, et, surtout, à accepter leur relation.
Fort de ces nouvelles richesses, ils vont retourner à Celestia, pour un étrange épilogue que je vous laisse découvrir.
Points forts
Manuele Fior nous propose une superbe balade graphique, qui évoque, de façon diffuse, la Fable de Venise d’Hugo Pratt. Même si les univers sont très différents, il y a des passerelles entre ces deux auteurs italiens. En dehors du lieu, la plus évidente est celle qui consiste à n’attacher à la cohérence du récit que peu d’importance, pour se consacrer à la symbolique et à la beauté de l’image. Les décors de cette BD sont magnifiques, et créent cette ambiance poétique qui porte le récit. Pierrot n’hésite d’ailleurs pas à déclamer de mystérieux vers, ou même, parfois, à s’exprimer en rimes.
Quelques réserves
On peut être déconcerté par cette étrange aventure et je reconnais qu’il m’a fallu plus d’une lecture pour l’apprivoiser et l’apprécier. La 1ère lecture est la plus difficile, car c’est celle où on tente de comprendre ce qu’il se passe, comment on le fait en lisant n’importe quelle BD. Mais ici, plus le récit avance, moins on comprend et plus on est perdu ! Pour moi, la clé du plaisir à lire cette BD a été dans sa « relecture ». Car, plus je la relisais, plus j’abandonnais mon besoin de comprendre pour simplement me laisser porter par son charme.
Encore un mot...
La grande richesse de la Bande Dessinée, en tant que neuvième art, est de pouvoir proposer une grande diversité de propositions graphiques et narratives. Manuele Fior explore une des voies les plus innovantes de ces propositions avec ce long poème dessiné. Je définirai son travail comme du post-Prattisme, dans la mesure où il pousse un peu loin le style d’Hugo Pratt, en abandonnant le fil narratif qui subsistait tant bien que mal dans les aventures de Corto Maltese. Il faut donc abandonner la part de rationnel en chacun de nous pour profiter pleinement de cet album, sans chercher à tenter d’expliquer les nombreux moments obscurs de l’intrigue. Ma récompense à cet abandon consenti a été de refermer l’album en me disant « Que c’est beau ! ».
Une illustration
L'auteur
(d’après le site BDGest)
Manuele Fior est né à Cesena. Après ses études d'architecture à Venise, il part à Berlin, Oslo puis Paris où il vit actuellement. Auteur de bande dessinées et illustrateur, il collabore régulièrement avec de nombreuses revues internationales (Feltrinelli, Einaudi, Sole 24 Ore, Edizioni EL, Fabbri, Internazionale, Il Manifesto, Rolling Stone Magazine, Les Inrocks, Nathan, Bayard, Far East Festival). Il a publié quatre romans graphiques : Cinq Mille Kilomètres Par Seconde (Atrabile 2010, Fauve d'Or - Meilleur Album - Festival International de Angoulême 2011), Mademoiselle Else ( Delcourt 2009, Prix de la ville de Genève 2009), Icarus (Atrabile 2006,Prix A. Micheluzzi Meilleur Dessin 2006 ), Les Gens le Dimanche (Atrabile 2004).
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