Blacksad, Tome 6 : Alors, tout tombe (1ère partie)

Le retour du chat noir nous porte bonheur
De
Scénario : Diaz Canales, Dessins : Guarnido
Ed. Dargaud, 2021
58 p.
15 €
Notre recommandation
5/5

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Thème

La sortie d’un nouvel album des aventures de Blacksad est devenue un évènement important dans le petit monde la Bande Dessinée. Ce héros né en 2000 des mains talentueuses de deux auteurs espagnols, Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido, a connu depuis 5 aventures. Leur belle et très originale idée est d’avoir créé un univers de polar américain où tous les personnages ont des corps d’êtres humains et des visages d’animaux. Ainsi, John Blacksad, le héros de cette série, est un détective privé new-yorkais avec une tête de chat noir. Sur ce principe, les auteurs ont plaqué tous les codes du polar américain des années 50 : personnages emblématiques du genre - flics véreux ou idéalistes, femmes fatales, hommes d’affaires corrompus… - ; dialogues ciselés en mode roman noir ; cadrage somptueux et cinématographique des images. Cette recette de polar animalier a tout de suite rencontré son public et créé un engouement de la part des lecteurs qui ne s’est jamais démenti. 

John Blacksad lui-même coche toutes les cases incontournables du détective privé du cinéma policier de cette période : charmeur, désabusé, faussement cynique, violent quand il faut l’être, prêt à secourir la veuve et l’orphelin, et une aptitude inouïe à se fourrer dans les pires embrouilles.

Et d’embrouilles, il va en être question dans ce nouvel opus. Après quelques aventures dans le sud des Etats-Unis, Alors tout tombe, marque le retour de Blacksad dans son territoire de prédilection, New-York. C’est aussi le retour d’une intrigue classique de polar : Blacksad va être confronté à Solomon, un promoteur immobilier véreux, prêt à tout, pour mener à bien ses projets, y compris se débarrasser de Kenneth, un syndicaliste idéaliste ou d’Iris, la directrice d’une troupe de théâtre en plein air. D’un côté, les bons ; de l’autre, les méchants. A priori facile pour Blacksad de choisir son camp… Mais tout ne va pas être si simple et de lourds secrets vont émerger au fil de cette enquête tout en la plombant. A tel point que Blacksad lui-même semble peu à l’aise dans cet univers incertain. Sans trop spoiler le récit pour les futurs lecteurs, disons que les personnages qu’il souhaite protéger ne s’en tirent pas tous indemnes, et que notre chat noir semble un peu dépassé par les évènements, jusqu’au twist final de cette première partie, qui va le laisser sans voix.

Points forts

Quel plaisir de retrouver le chat détective ! Cette sixième aventure, qui se déroulera sur deux albums, une première pour la série, commence de la meilleure des manières. Les auteurs renouent avec ce qui avait fait le succès des premières aventures, à savoir l’utilisation à outrance des codes du polar américain. Si le dernier album, Amarillo, m’avait laissé une impression mitigée (intrigue texane un peu décousue et peu convaincante), dans Alors, tout tombe c’est comme si le retour de Blacksad à New-York avait redonné de la vigueur à ses auteurs.

Diaz Canales construit une intrigue parfaite, avec tout ce qu’il faut de rebondissements et de dialogues savoureux. Solomon, le promoteur immobilier, tel un aigle, domine la ville du haut de ses immeubles. Il s’oppose à une chauve-souris syndicaliste, défenseur de taupes ouvrières qui officient dans les entrailles de la ville. Le capitalisme contre le monde ouvrier, le haut contre le bas, difficile de faire plus dans la symbolique.

 Guarnido, comme à son habitude, nous propose un dessin magnifique de talent, avec des décors somptueux - les premières vues de Central Park, que j’ai choisi pour illustrer cette chronique, donnent le ton -, et un bestiaire anthropomorphe qui ne faiblit pas. Il ose la chauve-souris syndicaliste ou la belle actrice Alpaga, et ça fonctionne toujours. J’adore son clin d’œil au peintre Edward Hopper, ainsi que ses variations graphiques sur les hauteurs et les souterrains qui illustrent à merveille la thématique de l’histoire.

Quelques réserves

Le classicisme de l’intrigue peut apparaître aux plus exigeants des lecteurs comme une facilité. A force d’utiliser les codes du polar, il y a peut-être un moment où la corde va s’user… Mais il y a de la marge avant d’en arriver là.

Encore un mot...

LE CHAT NOIR EST EN PLEINE FORME

Rarement, la connivence entre plusieurs arts aura été portée si haut. Blacksad soutient la comparaison avec un Sam Spade, créé par Dashiell Hammet, ou un Philip Marlowe, imaginé par Raymond Chandler. Tous les deux sont des privés mythiques de l’univers du polar, et tous les deux ont été incarnés au cinéma, au sens fort du terme, par Humphrey Bogart. On est dans l’héritage culturel : livres, films ou BD se rejoignent pour nous procurer un égal plaisir. On peut même pousser la comparaison plus loin, avec ce dernier album, car Blacksad ressemble de plus en plus à un mélange du Spade du Faucon Maltais et du Marlowe du Grand Sommeil, ces privés désabusés, qui semblent plutôt subir les évènements que de mener une enquête convaincante. Mais attention, à la fin, le privé gagne toujours … Alors, alors, tout tombe. Vivement le Tome 2 !

Une illustration

L'auteur

LES AUTEURS (d’après le site Dargaud)

Juanjo Guarnido est né à Grenade, en Espagne, en 1967. Il passe son enfance dans le village de Salobrena, au bord de la Méditerranée, à dessiner. Plus tard, sa famille s'installe à Grenade, en Andalousie. C'est là qu'il étudie les Beaux-Arts et obtient son diplôme. Par la suite, il participe à la réalisation de plusieurs fanzines grenadins. Durant ces années, il publie également de nombreuses illustrations chez Cómics Forum, un label de Planeta DeAgostini, pour l'édition espagnole de Marvel, ce qui lui permet de toucher un public espagnol assez large. Il prend ensuite contact avec le milieu du dessin animé et s'installe à Madrid où, pendant trois ans, il travaille sur plusieurs séries télé pour les studios d'animation Lapiz Azul. C'est lors de son premier jour chez Lapiz Azul qu'il rencontre Juan Díaz Canalès, qui deviendra son scénariste sur Blacksad. En 1993, il déménage à Paris pour intégrer les studios Walt Disney à Montreuil où il travaille comme animateur jusqu'à la fermeture des bureaux. Adepte depuis toujours de la BD européenne, il entreprend patiemment ce qui sera la longue fabrication de son premier album, le tome 1 de Blacksad, Quelque part entre les ombres, éd. Dargaud, ", paru en 2000. Il mène alors de nouveaux projets en parallèle, comme Sorcelleries, éd. Dargaud, avec Teresa Valero ; Voyageur, éd. Glénat, projet collectif ; Les Indes fourbes, éd. Delcourt, avec Alain Ayroles (lecture hautement recommandée par l’auteur de cette chronique).

Juan Díaz Canalès est né en 1972 à Madrid, en Espagne. Il lit très tôt de la bande dessinée avant de s'intéresser au dessin animé. C'est décidé, il en fera son métier ! À 18 ans, il intègre un studio d'animation et y rencontre Juanjo Guarnido, avec lequel il se lie d'amitié. Juan reste en Espagne alors que Juanjo part en France travailler pour les studios d'animation de Disney. Mais cela ne les empêche pas de réfléchir à un projet de bande dessinée, ce qui donnera des années plus tard Blacksad. Juan Díaz Canalès continue de fréquenter l'école des Beaux-Arts, puis, en 1996, fonde avec trois autres dessinateurs une société d'animation baptisée Tridente Animation. Il est ainsi amené à travailler avec des entreprises européennes et américaines. Díaz Canalès partage son temps entre son activité de scénariste pour la BD ou l'animation et celle de superviseur de séries télé et de films d'animation longs-métrages. Blacksad est sa première série qui voit le jour en 2000 et qui s'inscrit dans le pur esprit du polar noir américain. Devenue culte, adaptée en jeu vidéo en 2019 (« Under the skin »), la série est publiée dans plus de 20 pays !

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