Ar-Men

Un hymne vraiment magique à la mer bretonne
De
Emmanuel Lepage
Editions Futuropolis
Notre recommandation
5/5

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Thème

48° 03’ 01’’ Latitude Nord, 4° 59’ 50’’ Longitude Ouest, au bout de la chaussée de Sein. C’est là que se dresse à 30 mètres au-dessus flots de la Mer d’Iroise, Ar-Men, « l’Enfer des enfers », « le phare le plus exposé et le plus difficile d’accès de Bretagne, c’est-à-dire du monde ». C’est là que vit Germain, gardien tourmenté par un passé douloureux. C’est là qu’il est venu chercher refuge, là qu’il est venu veiller sur ce qui fut un des plus grands cimetières marins de France, là où une ligne directrice simple guide son existence : que toujours « le feu [soit] clair ». La relève amène à Germain un nouveau compagnon de veille, Louis. Taiseux, il rentre « dans le phare comme dans une mine », comme pour y enfouir une blessure secrète.

Une nuit, Ar-Men manque de céder sous la violence des assauts de la tempête. L’eau pénètre à l’intérieur du fut, menace de tout emporter et arrache une partie de l’enduit qui en recouvrait les murs. Germain y découvre l’histoire du phare racontée par Moïzez. Enfant sauvé des eaux, recueilli par une veuve de l’île de Sein, il participa aux quinze ans de la construction d’Ar-Men et en fut le premier gardien. Indéfectiblement lié à ce phare qui fut sa vie, il en grava l’histoire sur les murs. C’est cette histoire révélée par cet étrange parchemin que Germain décide de raconter à Louis pendant leurs soirées de veille.

Points forts

Ar-Men nous emmène au bout du monde, au pays de la Fin de la Terre soulignée par la griffure acérée de la Pointe du Raz dans les vagues de l’Atlantique. C’est le pays du Bag Noz, vaisseau des légendes bretonnes barré par l’Ankou, le valet de la Mort ; de l’enchanteur Merlin et de Vélléda, la vierge guérisseuse ; de Gradlon, roi d’Armorique, et de Malgven, reine des royaumes du Nord, de leur amour fou et d’Ys, leur cité légendaire.

C’est aussi le pays d’une des mers les plus dangereuses du monde ; de l’île de Sein, de ses terres impropres à la culture, brûlées par le sel. Le pays de générations de Sénans pauvres, tenaces, fiers, durs au mal, naufrageurs, marins, constructeurs et gardiens de phares, héros de la France libre lorsque cent vingt-huit d’entre eux rejoignirent Londres en 1940, arrachant à De Gaulle cette phrase légendaire : "L’île de Sein est donc un quart de la France."

Ar-Men est une formidable déclaration d’amour à la mer et au monde disparu des phares, portée par la richesse et la sensibilité du texte d’Emmanuel Lepage, par la puissance et la délicatesse de son dessin. Grâce à celui-ci, les rêves, enthousiasmes et joies des personnages deviennent les nôtres, tout autant que leurs peurs, colères et découragements. Par la magie de celui-là, on « entend » en voyant la finesse du glissement du vol plané des mouettes aussi bien que l’explosion de la tempête sur les murs du phare qui résiste obstinément aux éléments. La palette aquarelle est au diapason de cet imaginaire ; toute en nuances, elle fait alterner douceur de la lumière rasante sur le vert de la mer, puissance des courants du raz de Sein et mélancolie des souvenirs.

Quelques réserves

Il n’y en a pas. Ou plutôt un seul. Celui de laisser cette douce amertume au cœur du lecteur une fois l’album refermé. Celle de la nostalgie d’un monde évanoui, de la mélancolie des lumières et landes bretonnes, d’une solidarité émue ressentie pour Germain et Louis, veilleurs obstinés marqués par la vie de blessures dont on ne guérit pas.

Encore un mot...

Il faut lire Ar-Men pour (re)découvrir la Bretagne, le Finistère Sud, leur histoire et leur culture. Pour se donner envie d’aller se poster par temps clair au bout de la pointe du Raz et contempler l’alignement des « navires immobiles » qui y veillent sur le trafic maritime : Phare de La Vieille, Phare de Tevennec, Phare de Sein, Ar-Men.

Il faut lire Ar-Men pour (re)découvrir les phares, ceux qui les ont construits, ceux qui y ont vécu, ceux qui les ont gardés. Pour se confronter à cet univers de détermination silencieuse où rien d’autre ne compte que la tâche à accomplir, coûte que coûte, quel qu’en soit le prix. Sur ce thème, dépêchons-nous de (re)découvrir le superbe Trois Eclats Blancs de Bruno le Floc’h, éd. Delcourt, 2004.

Une phrase

« Nous sommes seuls face à l’océan. Debout et droits, nous tiendrons une fois encore. Nous sommes les gardiens du feu ! Chaque nuit, chaque semaine de chaque mois, le feu s’allume, et nous en sommes comptables… Quoi qu’il arrive. »

L'auteur

Quand on est Breton, que l’on rencontre à 13 ans Jean-Claude Fournier, le dessinateur de Spirou, qui vous prend sous aile, comment ne pas se lancer dans la Bande Dessinée, les récits maritimes et les voyages (Amérique Centrale, Amérique Latine, Terres Australes) ? Comment s’étonner également qu’Emmanuel Lepage publie son premier dessin dans Ouest France en 1983 ou que des bibliothèques de Rennes l’aident à publier son premier album à compte d’auteur, La Fin du monde aura-t-elle lieu ? En 1987-1988, il publie sa première série, Kelvin, éd. Ouest-France. Associé au scénariste Dieter, il réalise la série Névé, éd. Glénat, 1991-1997, qui rencontre un réel succès.

En 1999, la publication de La Terre sans mal, éd. Dupuis-Aire Libre, en collaboration avec Anne Sibran, l’installe définitivement parmi les auteurs de BD qui comptent. En 2003 paraît l’album qui est considéré comme son chef d’œuvre, le diptyque Muchacho, éd. Dupuis-Aire Libre. S’ensuit une bibliographie aussi riche que dense au sein de laquelle on mettra en exergue : Les Fleurs de Tchernobyl, co-signé avec Gildas Chasseboeuf, éd. Dessin'acteurs, 2008 ; Voyage aux îles de la Désolation, éd. Futuropolis, 2011 ; La Lune est Blanche, éd. Futuropolis, 2014 ; Les Voyages d’Ulysse, en collaboration avec Sophie Michel et René Follet, éd. Daniel Maghen, 2016.

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