Après l'Enfer, Le Jardin d'Alice
Dans l'immédiat après-guerre de Sécession, aux Etats-Unis, une course poursuite qui tient d'"Alice au pays des merveilles" et du "Magicien d'Oz". Une chasse au trésor désespérée et envoûtante, avec pour contexte la fin d'un monde.
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Thème
Printemps 1865, peu après la fin de la guerre civile américaine, quelque part en Caroline du Sud, premier état sécessionniste. Dorothy, fille de l'aristocratie terrienne de ce « Deep South » esclavagiste dévasté par la guerre, a survécu au conflit après avoir vu sa mère violée et assassinée. Elle recueille Alice, dont la mère et la sœur ont connu le même sort, de la même horde, Les 12 apôtres du diable, emmenés par « La Reine » et « Le Chapelier ».
Hunk, Zeke et Hickory ont fait la guerre sous l'uniforme gris du Sud. Ni riches propriétaires ni esclavagistes, ils voulaient défendre leur pays « quand l'Union est venue le saigner ». Vaincus, marqués irrémédiablement dans leur chair et leur esprit par ce conflit où ils ont « laissé [leur] âme », ils se résignent à quitter cette terre où « [leur] cœur est mort ». Ils font bientôt la rencontre d'Alice et de Dorothy. Ensemble, ils se lancent sur les traces des 12 apôtres à la recherche du trésor du Sud.
Points forts
Le parti-pris scénaristique est génial : faire du Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll et du Magicien d'Oz de Lyman Frank Baum le fil rouge d'une chasse au trésor désespérée au cœur du Sud des Etats-Unis, dans l'immédiat après-guerre de Sécession. Les références à ces deux œuvres fourmillent tandis que ce Sud rural, nostalgique de sa gloire cotonnière passée, marqué à jamais au fer rouge de la ségrégation, prête ses décors fantasmatiques à cette quête sans retour. On y retrouve l'atmosphère moite des romans de John Grisham ; de l'angoissante série True Detective, HBO, 2014 ; du poisseux Mud de Jeff Nichols, 2013 et du glaçant Mississipi Burning d'Alan Parker, 1989.
Ce choix de scénario permet également d'aborder des pans majeurs de l'histoire des Etats-Unis : la conflagration de la Guerre de Sécession, disparition d'un monde et naissance d'une société moderne ; la création du Ku Klux Klan aux sinistres cagoules blanches ; la résonnance des premières notes de blues et de jazz ; la ruée vers l'Ouest des survivants du Sud disparu... Saluons la façon crue et directe avec laquelle les auteurs dénoncent les violences de toutes natures qui accompagnent la guerre civile dont Corneille dit qu'elle « est le règne du crime ».
Après l'Enfer nous donne également envie de (re) lire les BD qui dépeignent cette fin d'un monde : la référence, La Jeunesse de Blueberry, de Jean-Michel Charlier et Jean-Giraud, éd. Dargaud, 1975 ; les très bons Maîtres de White Plain de Edouard Chevais-Deighton et Antoine Giner-Belmonte, éd. Bamboo, collection grand Angle, 2017-20187 ; et la sous-estimée série Jim Cutlass, également de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud puis Christian Rossi, éd. Les Humanoïdes Associés et Castermann, 1979-1999.
La force du dessin et des coloris soutient à merveille la puissance du scenario. Le désespoir et l'humidité suintent de chaque vignette. Le jeu des couleurs aquarelles rehaussées ici et là d'une touche plus vive restitue magnifiquement l'ambiance de cet environnement glauque et pesant. On y retrouve une certaine proximité avec le superbe Notre-Mère La Guerre réalisée de 2009 à 2012 par Kris et Maël aux éditions Futuropolis. Même violence omniprésente et déshumanisante, mêmes tentatives désespérées et impuissantes des personnages pour continuer à tirer le fil d'un sens et d'une humanité mis à mal par un univers dont la violence de la guerre a fait voler en éclats tous les repères...
Quelques réserves
Même en cherchant bien, ils sont aussi difficiles à trouver que le trésor après lequel courent les protagonistes de l'histoire... Peut-être les lecteurs qui n'auraient pas lu dans leur intégralité Alice au Pays des Merveilles et Le Magicien d'Oz ne saisiront pas toutes les références à ces deux ouvrages ; peut-être d'autres pourront trouver la violence trop excessive et omniprésente... Mais sont-ce là des faiblesses ?
Encore un mot...
Après l'enfer est un coup de poing au ventre encaissé dès la première page. La puissance de l'album s'y déchaîne immédiatement. Les auteurs mettent d'emblée la dramaturgie visuelle et scénaristique à un niveau d'intensité invraisemblable et réussissent le tour de force de le maintenir sans la moindre baisse jusqu'à la dernière page qui met définitivement KO. Comme si Damien Marie et Fabrice Meddour avaient trouvé le point d'équilibre parfait entre le dessin de l'un et le texte de l'autre, entre la noirceur du sujet et le superbe jeu de couleurs, entre sources d'inspiration et identité également assumées... On n'est probablement pas loin du chef d'œuvre.
Une illustration
L'auteur
- Damien Marie fait des études d'arts appliqués et de design industriel puis commence sa carrière dans l'architecture d'intérieur. Passionné d'écriture, il signe son premier scénario chez Soleil, en 2003-2005, avec Vanders au dessin : Règlement de Contes, série animalière qui revisite les contes de notre enfance. La tétralogie La Cuisine du Diable, éd. Vents d'Ouest, 2003-2008, dessinée par Karl T., lui permet d'aborder ce pays que le fascine : l'Amérique. De nombreux ouvages suivent, notamment aux éditions Bamboo.
- Diplômé de l'Institut Audiovisuel d'Orléans, Fabrice Meddour entame son parcours professionnel dans le dessin animé avant de se tourner vers la BD. La série Hispanola, éd. Vents d'Ouest, 1995-2000, est son premier grand projet. Aussi à l'aise dans un style classique, que dans la SF ou l'heroic fantasy, Fabrice Meddour réalise également une adaptation d'Arthur et les Minimoys, éd. Soleil, 2007, sur un scénario de Patrick Weber. John Arthur Livingstone - Le Roi des singes, éd. Ventes d'Ouest, 2012-2015 démontre que le registre policier ne lui fait également pas peur.
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