LES LIAISONS DANGEREUSES

Vous avez dit dangereuses ?
De
Choderlos de Laclos
Adaptation : Arnaud Denis
Mise en scène
Arnaud Denis
Avec
Delphine Depardieu, Valentin de Carbonnières, Salomé Villiers, Michèle André, Pierre Devaux, Marjorie Dubus et Guillaume de Saint-Sernin
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Comédie des Champs Elysées
15 avenue Montaigne
75008
Paris
01 53 23 99 19
Du 20 septembre 2024 au 29 décembre 2024, du mercredi au samedi 21h, dimanche à 16h

Thème

  • La marquise de Merteuil sollicite son ancien amant, le vicomte de Valmont, pour lui proposer un défi immoral : elle souhaite se venger d’une ancienne infidélité en corrompant la jeune Cécile de Volanges, tout juste sortie du couvent, en lui ôtant sa virginité avant le mariage. 

  • Valmont, quant à lui, s’est mis en tête de séduire Madame de Tourvel, une jeune femme mariée et pieuse. Les projets des deux manipulateurs se révéleront bien plus néfastes qu’ils ne l’imaginaient… • On ne badine pas avec l’amour, et certaines liaisons, dangereuses, peuvent s’avérer fatales.

Points forts

  • La salle “à l’italienne“ est ravissante et confortable, les costumes et les lumières magnifiques, les quatre principales comédiennes (la marquise de Merteuil, la Présidente de Tourvel, Cécile de Volanges, Mme de Rosemonde) tout à fait remarquables.

Quelques réserves

  • On est toujours mal à l’aise lorsqu’on sort d’un spectacle gêné sans vraiment savoir pourquoi. Il est plus simple de jeter la chaussure que de chercher pourquoi on ressent dans ladite chaussure une désagréable sensation de “caillou"... Au sortir de ces Liaisons dangereuses, cette sensation était bien présente. 

  • Or la plupart des comédiens sont bons, notamment la formidable Delphine Depardieu qui campe une Merteuil vénéneuse à souhait - avec une exception regrettable pour un Valmont dont la diction laisse carrément à désirer - la mise en scène est correcte, les costumes beaux, la technique au rendez-vous, belles lumières, changements de scène efficaces (voir les points forts). 

  • Pourtant, l’impression persiste que quelque chose ne va pas. Dans ce genre de cas, rien de tel que de revenir au sources, c’est-à-dire au texte d’origine. Et là, on aperçoit le caillou : Laclos propose, sous une forme épistolaire - et là est l’essentiel - une manière subtile d’ode au libertinage dans tout ce qu’il peut comporter de complexe, d’ambivalent, de cynique, de méchant, voire de machiavélique. 

  • Mais dans ces Liaisons proposées par le talentueux Arnaud Denis, on lit en filigrane, et bien plus que l’ambiguïté du désir sexuel et les multiples faces de la perversion, toutes les problématiques féministes actuelles sur l’inégalité des sexes, le viol etc, etc…. Bon, pourquoi pas, mais sans doute est-ce à cet endroit précis que le bât blesse :

    • non qu’il soit interdit, loin s’en faut, de transposer au théâtre des problématiques d’une époque sur une autre, mais dans ce cas, pourquoi pas une transposition assumée ?

    • dès lors, pourquoi des costumes d’époque, pourquoi pas une vraie réécriture et une vraie réinterprétation sans lesquelles l’impression persistante est celle d’un fourre-tout idéologique“ ayant pour seul effet de casser la dynamique du texte d’origine et d’appesantir l’action ? 

  • Ainsi, dans ces Liaisons dangereuses, la sulfureuse marquise de Merteuil finit-elle livrée à la vindicte populaire, alors que le roman de Laclos s’achève volontairement sur une énigme : la marquise disparaît ; « on dit » qu’elle a été défigurée par la petite vérole ; « on dit » qu’elle s’est enfuie en Hollande avec ses diamants. Cette énigme de la fin de Merteuil chez Laclos est capitale, car elle renvoie le lecteur à son imagination sans lui imposer la condamnation morale qui aura été celle, un siècle plus tôt, d’un Don Juan et qui est celle, deux siècles plus tard, bien conforme à l’époque du #Metoo

  • En fait, l’énigme laisse le lecteur libre. Elle est certes difficile à reproduire dans l’unité de temps et de lieu qu’est un spectacle de théâtre. Et le choix de Laclos du roman épistolaire était certainement le plus apte traduire les subtilités de la perversion organisée à laquelle il propose du coup au lecteur d’assister sans juger.

  • Du coup, on ne peut que regretter dans la mise en scène d’Arnaud Denis une concession facile, voire par endroits légèrement vulgaire, à un certain consensus de notre temps : ces Liaisons dangereuses se réfèrent davantage à la question contemporaine du consentement qu’au “Grand Siècle“ libertin, davantage à “Faites entrer l’accusé“ qu’à Choderlos de Laclos. C’est fort dommage. Sans doute eut-il été possible de faire signe à l’évolution des temps et des mœurs sans trahir le texte. 

  • On doit à la vérité de dire que le public, lui, est enthousiaste. Mais les goûts du plus grand nombre sont-ils un gage de qualité ? Il est permis d’en douter. 

Encore un mot...

  • La critique théâtrale est chose complexe : nous autres critiques ne possédons pas “la“ vérité. La seule chose que nous “possédions“, c’est notre subjectivité, et la mission qui est la nôtre consiste à expliciter, autant que faire se peut, cette perception subjective. 

  • Cette explicitation n’a, encore une fois, pas valeur de vérité, mais elle permet d’ouvrir le débat d’idées, qui seul rend libre.

L'auteur

  • Né le 18 octobre 1741 à Amiens, Pierre Choderlos de Laclos entame très tôt une carrière militaire et mène une vie de garnison qui lui permet de commencer à écrire, notamment des poèmes, et deux contes libertins. 

  • En 1782 paraît son roman Les Liaisons Dangereuses, dont le retentissant succès est en partie dû au scandale qu’il provoque. En 1788, Choderlos de Laclos quitte l’armée pour entrer au service du duc d’Orléans. Après un exil d’un an à Londres au moment de la Révolution, il regagne la France en 1790, devient l’un des rédacteurs du Journal de la Société des amis de la Constitution, et intervient dans de nombreux débats tenus au Club des Jacobins. 

  • Laclos, renvoyé par le duc d’Orléans, reprend du service dans l’armée mais en raison des liens qu’il entretient avec la noblesse, il est arrêté et menacé d’être décapité. Relâché en 1794, il écrit l’article « De la guerre et de la paix », publié en 1795. Fervent partisan de Bonaparte, Laclos réintègre l’armée avec le grade de général, et c’est en défendant Tarente qu’il meurt le 5 septembre 1803.

Commentaires

Vincent Weber
mer 30/10/2024 - 15:41

Enfin une critique digne de ce nom, qu n'est pas béate comme toutes les autres... Elle reflète globalement mon sentiment, mais j'ai quelques nuances:
- La problématique de l'égalité des sexes était bien présente dans le roman, la lettre 81 où la Merteuil livre sa volonté de revanche sur la condition féminine à laquelle elle a été assignée l'illustre bien. Laclos a d'ailleurs été l'auteur d'un écrit féministe sur l'éducation des femmes;
- En revanche, la thématique du viol y est sur-représentée par rapport au roman: On y voit Merteuil confessant que son mari l'aurait violée, et qu'elle aurait eu envie de le tuer. Rien de tel dans la lettre 81, où la marquise admet qu'elle n'a jamais eu à se plaindre de lui, juste que sa mort est tombée à pic;
- Je suis bien d'accord avec la vulgarité dans la pièce, que je ne trouve d'ailleurs pas "légère": parler à tout bout de champ du "gros serpent" et de la "cerise confite", avec des allusions grasses sur la taille de ce gros serpent qui serait insuffisante pour donner du plaisir, cela fait peut-être rire les adolescents, mais cela dénature complètement le texte de Laclos, tout en raffinement et en suggestions.

Je rajoute également les réserves suivantes:
- Oui, non seulement la diction de Valmont laisse à désirer, je n'ai pas entendu tous ses mots, mais celle de Merteuil souffre du défaut inverse: la marquise est survoltée, limite hystérique, elle hausse le ton, à l'opposé de la placidité contrôlée de Glenn Close. Cela dessert le prestige du personnage;
- On a fait de la tante un personnage grotesque, qui s'endort de suite comme dans le pathétique "Valmont" de Milos Forman, et qui ne se préoccupe que de ses dindons et de son chocolat, ce qui n'est nulle part dans le roman. A force de discourir sur les dindons et le chocolat, ce qui n'a aucun intérêt, on perd du temps (alors même qu'on a presque 2 heures, autant que l'excellent film de Frears), ce qui se traduit par des coupes sévères dans l'histoire: pas de Julie, pas d'Emilie, pas de duel à l'épée, rythme trop rapide: Danceny est dès le départ l'amant de Merteuil, ce qui lui enlève de son ingénuité, Tourvel se rend facilement au deuxième assaut, alors que dans le livre et même le film elle résiste farouchement);
- On a fait de Cécile une petite dévergondée, qui quasiment dès le départ s'enthousiasme à l'idée d'avoir plusieurs amants. Dans le livre et le film, ce changement est progressif, et il attend l'initiation par Valmont;

Bref, je ne comprends pas l'engouement général autour de cette pièce, et notamment que le Canard Enchaîné puisse écrire que ce Valmont et cette Merteuil éclipsent Malkovitch et Close, c'est n'importe quoi ! Il y a certes quelques bons moments, en fait le début (avec une retranscription fidèle des premières lettres) et la fin, qui a une bonne tension dramatique. Mais le milieu laisse un goût amer !

PS: Le Grand Siècle était le 17ème, pas le 18ème ;)

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