Pour un oui pour un non
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Thème
Deux anciens copains se retrouvent après une longue période d’évitement, voulue ou non. On ne sait même plus qui a commencé. Ils s’affrontent, se brouillent tour à tour, dominant ou dominé, se réconcilient : sont- ils vraiment sincères, oui ou non ?
Pour une phrase banale, pour une futilité mal interprétée, sous les mots les plus simples se cache une rancœur bien ancrée. Pour un rien se crée une tension dramatique, un conflit psychologique apparemment irréversible entre eux.
Les deux amis de longue date se sont donc éloignés, et le premier demande des explications au second : « Pourquoi, tu ne m’a pas fait signe ? Que s’est-il passé ? » à quoi l’autre répond « Mais rien ! Quoique, peut-être me suis-je vanté ? De je ne sais plus quoi ? De je ne sais plus quel succès ? » et tu m’as dit (simplement) : « C’est bien…. ça ! » finit par révéler H2 à H1 (c’est leurs noms).
Un dialogue à haut risque donc et pour nous, simples spectateurs pendus à leurs lèvres, un dialogue de sourds.
Points forts
- Le texte de Nathalie Sarraute réussit la gageure de faire entendre les non-dits avec autant de force que les mots eux-mêmes, et sa dramaturgie est à mi-chemin, comme dans un équilibre fragile, entre le rire et l’émotion. On va assez vite comprendre que Pour un oui pour un non est une véritable pièce sur l’amitié, une amitié dont on ne peut se défaire pour le meilleur et pour le pire. Sujet sérieux traité avec légèreté et une petite dose d’humour.
- Le jeu de deux très grands comédiens, Christophe Brault et Scali Delpeyrat, qui joignent le geste à la parole, tout en finesse et en sobriété. Ils sont à touche-touche, mais réussissent à garder leur sang- froid et à maitriser leur émotion. La tension est palpable à chaque phrase. Un instant de détente et d’humour lorsque les “belligérants“ en puissance font appel à la charmante voisine pour les départager
Quelques réserves
Si peu, quoique, peut- être est-ce un peu court ? Oui, un peu ! Mais Non, pas du tout, je vous assure… On ne s’ennuie pas une seconde, Non, c’est vrai ? (pardon, on se prend vraiment au jeu).
Encore un mot...
Cette pièce, cet échange, cette rivalité verbale, cette histoire d’amitié fragile a été créée en 1980 pour la radio, Radio France en particulier. Elle fut ensuite publiée chez Gallimard. Pour un oui ou pour un non a été monté au Théâtre du Rond Point en 1986 avec Sami Frey et Jean-François Balmer, puis immortalisée à l’écran par Jean-Louis Trintignant et André Dussolier.
Qui n’a pas eu à affronter une telle situation où le langage ou même le silence peuvent créer un vide entre deux êtres, un vide menaçant voire effrayant. Au cours d’un dialogue parfois anodin, tour à tour, nous sommes ou nous croyons être agressés par un mot de trop, par une mimique, par une question mal posée, par une critique affirmée sans fondement.
Nous-mêmes, sommes-nous bien sûrs d’avoir toujours utilisé les mots qu’il fallait, de ne pas avoir heurté la sensibilité de l’autre par une onomatopée ridicule, ou même par un silence, par une mimique semblant exprimer un doute, par un mot de travers ?
Pour Benoit Lavigne, directeur du Lucernaire, « la plume incisive de Nathalie Sarraute a su faire, avec les mots les plus simples, d’un conflit psychologique un objet théâtral singulier ; elle est maître du non-dit du non-avoué, de tout l’univers de la sous- conversation. »
Une phrase
« …. Ce n’est pas tout à fait ça. Il y avait entre “C’est bien“ et “ ça“, un intervalle plus grand, tu vois : “C’est bien… ça“ ! L’accent mis sur le “ça“, une sorte d’étirement un suspens, et “ça“ est précédé d’un long suspens. »
« Et toi, tu te souviens quand nous étions dans les Alpes devant la barre des Ecrins nous étions cinq, avec deux amis et le guide. Tout à coup tu as stoppé net, tu as dit : “on va s’arrêter là pour regarder, ça vaut peut-être le coup, non ?“ Et toi, tu as dit : “allons-y, il y a en bas un buraliste… On pourra y trouver de jolies cartes postales“.»
« Oui, je t’aurais tué, moi aussi ! »
L'auteur
Nathalie Sarraute (1900-1999) est une femme de lettres françaises d’origine russe. Ecrivaine, romancière, dramaturge et même avocate, elle fut l’une des figures marquantes, bien qu’elle s’en défende, du mouvement du Nouveau Roman créé notamment par Alain Robbe-Grillet.
Ses parents, des juifs révolutionnaires, furent obligés d’émigrer en France. Après la guerre, elle y poursuivra ses études et deviendra avocate, jusqu’à l’Occupation. Parlant quatre langues, Nathalie Sarraute a découvert la littérature avec Marcel Proust et James Joyce, mais c’est une émule de Virginia Wolf et de Thomas Mann notamment.
Son premier ouvrage, un recueil de nouvelles intitulé Tropismes parut en 1939, et fut salué par Jean Paul Sartre et Max Jacob. En 1947, elle écrit Portrait d’un inconnu. Elle reçoit le prix international de la littérature pour son roman Les Fruits d’or, puis écrit pour le théâtre Le Silence, Le mensonge c’est beau, et Pour un oui ou pour un non pour l’inauguration du Vieux-Colombier comme deuxième salle de la Comédie Française.
Pour un oui ou pour un non sera montée à New York sous le titre For not a good reason, “punchline“ qui résume parfaitement la pensée de l’auteur. Enfin en 1989 parait Tu ne m’aimes pas, un roman-culte exprimant peut-être la quintessence de sa démarche romanesque (et de son style), c’est-à-dire décontextualisation, la fragmentation du discours, la prédominance des dialogues.
En effet, Sarraute le dira toujours et l’appliquera au cœur de ses romans : « Il n’y a que ce que je ressens dans mon for intérieur, et pas du tout ce qui peut m’arriver ou arriver aux autres. » Emotions intériorisées, réflexion en profondeur, sobriété : tels sont les ingrédients de la création dans l’œuvre - essentielle - de Nathalie Sarraute.
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