Une tête de chien
Première parution 1950, nouvelle parution : octobre 2023
162 pages
18;50 €
Editions Folio
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Thème
Au terme de quelques vingt années de stérilité, Madame du Chaillu met au monde un enfant à tête de chien. Dévastée par cet épouvantable coup du sort, elle s’en remet à Léon, son mari, un bourgeois pragmatique dépourvu de sensibilité, pour faire les choix utiles devant une situation aussi insolite et assurer l’éducation de cet être hybride qu’il faut considérer comme un fils. Baptisé Edmond, l’enfant-épagneul pourvu de grandes oreilles pendantes et d’une grosse langue affectueuse et baveuse échappera pour le reste au sort de la bête, dira « Papa » à six mois et n’aboiera jamais pour se manifester.
Entièrement conditionnée par le regard des autres sur son état si singulier, sa vie oscillera quant à elle entre un épanouissement apparent et un état dépressif absolu, Edmond refusant de s’investir vraiment dans les bonnes rencontres qu’il imagine toujours précaires et les bons moments qu’il analyse comme le fruit du hasard ou de l’intérêt. Jusqu’à l’épilogue qui le rendra à son autre état, celui du chien, faute d’avoir pu jamais être complètement admis dans celui des hommes qui lui réservent alternativement « charité, indifférence et cruauté » (sic).
Points forts
La langue simple et ciselée, pertinente dans une économie de mots, le style de Dutourd en somme.
Les prouesses de l’imagination qui rendent réelle une situation absurde et illustrent ainsi à merveille, par transposition, tous les travers du conformisme humain qui refuse la singularité.
Quelques réserves
Aucune si l’on entre dans le jeu de l’auteur en acceptant cette mascarade, prétexte à la dénonciation du jeu social ; toutes les réserves à l’inverse si l‘on refuse le postulat de départ, celui de l’enfantement d’un homme à tête de chien, situation qui peut passer pour parfaitement idiote ou simplement insupportable.
Encore un mot...
Voilà une œuvre bien étrange qui peut passer pour ce qu’elle n’est pas, entre vaudeville et carnaval, le style et l’humour so british de l’auteur favorisant la méprise. Quand il s’agit plutôt d’un conte philosophique qui suggère plusieurs drames, celui du héros qui, au prétexte d’une simple disgrâce physique va subir le bannissement de ses contemporains pour cause d’hétérogénéité, celui d’une mère qui rejette son fils tant attendu, celui d’une femme amoureuse ignorée de celui qui la convoite et refuse paradoxalement de croire à la sincérité de son amour, et de manière plus générale, le drame de celui qui appartenant à deux mondes ne s’épanouit ni dans l’un ni dans l’autre.
On pense bien sûr à La Métamorphose de Kafka en lisant cette Tête de chien, aux Contes du Chat Perché de Marcel Aymé aussi, autant d’œuvres qui conspuent la supériorité supposée de l’homme sur l’animal comme la grande civilisation égyptienne qui avait imaginé ses dieux, moitié homme-moitié animal, ainsi Hathor, déesse du désert à tête de vache, Thot, dieu de l’intelligence à tête d’ibis, et bien sur Anubis, grand maître des Nécropoles, l’homme à tête de chien.
Sans les préfaces et appendices proposés par cette nouvelle édition, au demeurant très précieux, le roman compte 125 pages, mais deux lectures s’imposent pour profiter de la prose enlevée de Dutourd, de sa culture classique et de son esprit décapant, et pour bien prendre la mesure de son juste combat contre les préjugés.
Une phrase
“ Edmond ne se rappela jamais ce moment de sa vie sans plaisir. C'est à cette époque-là qu’il fut sans doute le plus heureux. Louveciennes était un lieu charmant. Il y recevait très bien. Pendant un an, il fut à la mode de souper chez lui. La revue des Ambassades publia sa photographie : coiffé d’un melon gris, sur le champ de course de Longchamp, il donnait le bras à la marquise de Merteuil. Il possédait tout ce que la richesse permet de posséder : une bibliothèque, une cave, des robes de chambre, des tableaux. Il s’inventa même une marotte : le Minotaure, et collectionna des représentations de cet être fabuleux. À vrai dire, sur un corps d’homme, une tête de taureau paraît plus incongrue encore qu’une tête de chien ; mais la légende terrible de l’enfant de Pasiphaé enchantait Edmond. Il n’eut pas détesté, quant à lui, d’être retranché au fond d’un labyrinthe, ni qu’on lui sacrifie à chaque décade sept beautés athéniennes et autant de jouvenceaux. Il s’intéressait beaucoup aux créatures composites et lisait avec ravissement les histoires de centaures, de sirènes et de chèvre-pieds. Sa bibliothèque s’honorait d’un bel in-folio des Aldes : Les Métamorphoses d’Ovide, avec gravures.” (pages 97 et 98)
L'auteur
Jean Dutourd, né en 1920, compte parmi les grands écrivains français du XXème siècle. Membre de l'Académie française, il est l’auteur de quelques 70 romans et essais qui pour certains lui vaudront des prix prestigieux, ainsi le Prix Stendhal pour Le complexe de César, le Prix Courteline pour cette Tête de chien, le Prix Interallié pour Au bon beurre, son plus grand succès.
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