Jusqu'à l'épuisement de la nuit
Parution en janvier 2025
369 pages
20 €
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Thème
Ils furent 1670, ce 27 avril 1944, à être embarqués à Compiègne dans un train pour une destination inconnue pour la plupart d'entre eux - Auschwitz-Birkenau puis Buchenwald. Ils ont en commun d'être Français, d'avoir été arrêtés par les forces d'occupation, la milice, la gestapo, la police française. Pour faits de résistance, refus du travail obligatoire en Allemagne, actes de délinquance ou criminels, collabos en disgrâce, rafles ou dénonciations arbitraires. Ils ne le savent pas encore, mais ils commencent un voyage au bout de l'enfer, et pour ceux qui en reviendront libérés en 1945, selon leurs propres mots, “un voyage au bout de l'indicible”.
Dans ce récit historique, Vincent Quivy choisit de tracer dans ces pages leur chemin de vie, et pour beaucoup d'entre eux, chemin de mort, exécutés, morts de fatigue, de faim, du typhus et des traitements inhumains infligés aux prisonniers dans les camps de concentration de l'Allemagne nazie.
Ils ont encore en commun d'être les seuls Français détenus dans les camps pour des raisons dites "politiques" à avoir leur numéro de matricule tatoué sur le bras. C'est à partir des récits d'un certain de nombre de survivants et des informations disponibles sur le site de l'Amicale des déportés tatoués du 27 avril 1944 (27avril44.org) que Vincent Quivy reconstitue leur histoire et en porte ce témoignage dans le contexte de la célébration des 80 ans de la libération du camp de concentration d'Auschwitz.
Points forts
Ce récit - il faudrait dire ces récits - nous plonge dans le quotidien de la France occupée. Le courage des résistants, pas nécessairement engagés dans des actions armées, la constitution des réseaux, les compromissions des collaborateurs, les petites trahisons, les arrestations, les aveux arrachés souvent sous la torture constituent la moitié de l'ouvrage. L'auteur choisit de désigner les déportés par leur nom et leur matricule, proposant le parcours de résistants de l'ombre comme de chefs de réseaux plus connus (Boulloche, Marcel Paul, Michel Domenech), des intellectuels en disgrâce, comme le poète Robert Desnos, de traîtres ou de délinquants comme Pitou, ou de simples victimes de rafles aveugles, au sortir d'un bal, d'un bar ou d'un lycée.
La seconde partie La nuit, décrit, toujours à partir des témoignages des survivants, le convoi de Compiègne à Auschwitz, leur dissémination vers le camp de Buchenwald et autres camps de travail, pour participer, au bout de leur force, à l'effort de guerre de l'Allemagne dans des carrières, des usines souterraines d'armement. Avec des descriptions de violences parfois extrêmes, sous la tyrannie aveugle des Kapos et des SS, les récits évoquent aussi la solidarité entre résistants, les petites combines pour survivre, les réseaux qui se reforment et les amitiés qui se nouent. C'est encore, sous la pression de l'avancée des forces soviétiques et américaines, la constitution des "marches de la mort" pour évacuer à pied les camps, la moitié d'entre eux n'y survivront pas.
Après la nuit, dernière partie de l'ouvrage, raconte le retour à la liberté, ses joies et ses peines, la difficulté de témoigner - si certains diront la force de l'amitié et de l'entraide, d'autres, diront l'abîme d'avoir été confrontés à la plus absolue cruauté dont l'être humain se révèle capables - la plupart des “Tatoués”, comme ils se désignèrent ensuite eux même, ne pourront le faire, paralysés par l'horreur des souvenirs.
L'ouvrage est accompagné de la citation détaillée de ses sources, à parcourir pour voir sur quelles bases testimoniales ce livre a été composé.
Quelques réserves
Une moitié environ de l'ouvrage est consacrée aux circonstances de l'arrestation d'un très grand nombre des déportés de ce 27 avril 44. La succession impressionnante des noms, de leur histoire plus ou moins singulière, pourrait paraître fastidieuse et répétitive. Rappelons qu'il s'agit là de redonner vie à de très nombreuses personnes qui firent (pour la plupart) acte de résistance à l'Occupation et au régime de Vichy. Ces chapitres évoquent en substance la diversité des actions menées pour déstabiliser le régime et les occupants, aider aussi les personnes en fuite, juifs échappés des pays occupés, militaires ou agents de liaison.
Il y a dans ce fourmillement, si l'on écarte les chapitres concernant voyous et autres collabos, le récit de la résistance ordinaire.
Encore un mot...
Avec son "beau" et terrible titre, Jusqu'à l'épuisement de la nuit est un récit important et utile, dont une des qualités est de rendre vie à une partie de ces martyres des camps de concentration. Leur déportation comme politiques ou "droits communs" les rendit témoins de l'extermination des juifs, épargnés à leur arrivée aux camps par la nécessité de fournir de la main d'œuvre à l'industrie de guerre allemande dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. Leur destin fut cependant semblable, égaux devant la cruauté de leurs bourreaux. A ce titre, certains passages très durs de la seconde partie m'en ont rappelé d'autres des Bienveillantes de Jonathan Little, sur l'extermination des juifs en Pologne.
En racontant les trois étapes de leur parcours - leur vie au moment de leur arrestation, leur vie dans les camps, la libération des survivants et leur réinsertion dans la vie quotidienne, Vincent Quivy fait revivre des centaines d'entre eux, héros, hommes et femmes ordinaires, parfois criminels ou crapules. Dans le confort de nos vies, quand l'actualité de 2025 met en avant le 80ème anniversaire de la libération d'Auschwitz, quand les derniers "vivants" apportent un témoignage encore incarné, on se dit que le travail et le devoir de mémoire sont des priorités absolues.
Une phrase
"«Comment expliquer à ces braves gens la vraie faim, non celle de l'estomac, mais celle qui ronge le cerveau ? s'interroge Paul.
[...] Ces déportés lynchés par leurs camarades pour un bout de pain! Comment expliquer à ces gens emmitouflés dans la civilisation cette dégradation de l'homme revenant à l'état primitif? Souvent, je m'arrêtais au milieu de mon récit, je revoyais quelques images ramenées d'au-delà de la frontière humaine et je disais : "Parlons d'autre chose..."
Comme Paul Le Goupil ou Pierre Jobard, Pierre Nivromont est conscient du caractère inimaginable de ce qu'il a vécu et a très vite affirmé : «On ne voudra pas nous croire.» Jean-Claude Stewart évoque, lui, le « manque de patience de l'auditoire ». Souvent, l'attitude est le repli et le silence." P 363
L'auteur
Vincent Quivy est journaliste et écrivain, producteur d’émissions de radio pour France Culture, concepteur-rédacteur, enseignant et reporter indépendant. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont des récits historiques (sur les soldats de l'OAS), des biographies (Trintignant, Delon) ou des romans, comme Ni pleurs ni pardon.
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