A L’ABORDAGE
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Thème
S’inspirant, au langage près, de la pièce de Marivaux, Le Triomphe de l’Amour (1732), cette création toute neuve au titre métaphorique mise en scène par le directeur de La Tempête, Clément Poirée, illustre le triomphe de la jeunesse et la victoire de l’Amour sur les interdits, les peurs, les conventions, mais pas seulement et ce, dans un style furieusement contemporain. D’un côté l’amour libre, de l’autre l’abstinence moralisatrice. Quel dialogue possible entre ces deux utopies ?
Deux jeunes filles en rando, sac à dos et gourde à la main, après avoir erré dans la forêt tombe nez à nez sur une petite communauté d’individus où l’amour est banni car il est source de tous les dangers et conduit au malheur. C’est du moins le credo du chef de cette sorte de secte écolo, patriarche barbu et charismatique, solide comme un roc, du moins en apparence, le dénommé Kinbote. Seul remède à l’amour, l’abstinence moralisatrice absolue et la renonciation définitive aux (faux) plaisirs de la chair. Et ses fidèles filent droit, telle sa sœur, vieille fille desséchée, ou le jeune Ayden, sorte de Pan romantique ou encore l’ineffable Arlequin, au genre indéterminé. Sasha, une des jeunes filles, à la recherche de l’extase, effrontée n’ayant pas froid aux yeux, jette son dévolu sur Ayden que l’on découvre mollement étendu sur un tapis de mousse.
Surpris et effrayé, le beau jeune homme s’enfuit dans la profondeur de la forêt. Précisons que pour parvenir à leurs fins et brouiller les pistes sans jeter le trouble, nos damoiselles s’étaient déguisées en hommes. Le mieux étant l’ennemi du bien, nos amoureuses finirent par mettre le feu dans la forêt, le feu de l’amour bien sûr. Il faut dire que pour enfin toucher au but et séduire définitivement l’être aimé (mais lequel ?) la ravissante Sasha (Louise Grinberg à la ville) finit par se révéler dans le plus simple appareil. Le comble du marivaudage !
Points forts
Une distribution éblouissante. Le summum du spectacle vivant, animé par un collectif de 7 acteurs -danseurs-acrobates - des artistes hors pair, les palmes se répartissant entre un Kinbote (joué par Bruno Blairet), tour à tour truculent, inquiétant, attendrissant (avec des accents à la Jean Yanne et une dégaine à la Depardieu, par instants), un Arlequin irrésistible de drôlerie, une Sasha délicieuse, à la fois ingénue et charmeuse (comment ne pas craquer ?)
La mise en scène, sobre et splendide à la fois, un plateau au « carré » planté au milieu des spectateurs, tel un ring de boxe, un espace clos par de grands voilages, les acteurs entrent et sortent de tous côtés. Autour, la forêt, noire et mystérieuse est bien là à peine suggérée, au centre, en pleine lumière, les acteurs déchainés se ruent « A l’Abordage » de l’amour. Aucun n’en réchappera.
L’actualisation du langage, la réécriture contemporaine de l’œuvre « naturaliste » de ce génie prolifique et observateur de son temps qui inventa « la métaphysique du cœur » au siècle des Lumières, et ce grâce au talent de l’écrivaine Emmanuel Bayamack-Tam. Incroyablement moderne !
Quelques réserves
Des longueurs dans la première partie, celle des présentations des deux héroïnes et de leurs pérégrinations.
Encore un mot...
Rafraichissant, réconfortant, enthousiasmant, l’amour existe, on s’en doutait, mais on ne pensait pas qu’il pouvait encore vaincre nos angoisses, notre pusillanimité, et nous permettre de croire au déconfinement de nos esprits chagrins. Ici la comédie à l’italienne, naturelle et spontanée, prend tout son sel, nous donnant l‘occasion, dans une joie régénératrice de nous poser la question très actuelle : « Peut- on vivre à l’abri du monde comme il va ? L’amour est-il une arme de combat ? » (Clément Poirée). Perfection du style, profondeur de la psychologie, interprétation champagne, tout y est !
Une phrase
« Oublie ton frère, oublie ta communauté, oublie ton règlement intérieur cinq minutes : regarde- moi ! Là, c’est bien ! Regarde- moi Théodora, laisse- toi pénétrer »
L'auteur
Emmanuelle Bayamack-Tam, agrégée de lettres modernes, est tout à la fois enseignante, éditrice (cofondatrice des éditions Contre-Pied) et romancière. Après Rai-de-Cœur, ses premiers romans lui confèrent une certaine notoriété : Hymen (2002), Une fille de feu (2008), La Princesse de (2010), Si tout n’a pas péri avec mon innocence lui font obtenir le prix Vialatte et le prix Ouest France Etonnants Voyageurs
Son dernier roman, Arcadie, est sélectionné par le jury du prix littéraire Le Monde et pour le prix Fnac ; il reçoit le prix du Livre Inter en 2019. Clément Poirée le remarque et demande à Emmanuelle Bayamack-Tam de réécrire le « Triomphe de l’amour » de Marivaux pour le théâtre.
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