Fabrice Luchini: Poésie?
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Alors qu’il apprend par cœur « Le Bateau ivre », Fabrice Luchini prend un taxi. Le chauffeur l’invite à continuer à répéter à haute voix le poème de Rimbaud. « Qu’est-ce que c’est beau ! lui dit-il à la fin, mais je n’ai rien compris ». Fabrice Luchini a alors l’idée de ce spectacle sur la poésie : montrer au public où elle peut se nicher et lui faire saisir qu’il ne faut jamais chercher à la comprendre mais à la ressentir.
Points forts
1) La carrière de Fabrice Luchini est l’histoire d’une métamorphose :
- Physique d’abord. Jeune comédien freluquet, gringalet, « asexué » pour reprendre - comme il le raconte - le terme de ses agents de l’époque, Gérard Lebovici et Serge Rousseau, il ne va cesser de se transformer pour finir trente ans plus tard par interpréter le mari macho et dominateur de Deneuve dans le film « Potiche ».
- Intellectuelle ensuite. Issu d’un milieu modeste, élève peu doué pour les études, il quitte l’école à quatorze ans pour devenir garçon coiffeur dans un salon du VIIIème arrondissement de Paris. Le hasard des rencontres lui fait découvrir la littérature. Aujourd’hui Luchini est devenu le chantre des auteurs classiques et des belles lettres, et son nom est synonyme de culture immense, bigarrée, joyeuse. Chapeau pour ce parcours de self-made-man !
2) Fabrice Luchini en scène, c’est avant tout une technique irréprochable, une diction parfaite. Les mots dans sa bouche se transforment en friandises dont il sait extraire toutes les saveurs. Dans la salle à l’italienne de 700 places du Théâtre Montparnasse, aucun spectateur ne manque une seule syllabe ; on a même l’impression d’entendre toutes les lettres de tous les mots !
3) Pendant deux heures, il dit Valéry, Rimbaud, Victor Hugo, Céline, Proust, Labiche, La Fontaine, évoque Molière, Nietzsche, Flaubert, cite Louis Jouvet, Michel Bouquet. Comme un œnologue passionné, il trouve les mots précis pour analyser tous ses grands crus, tous ses grands textes, les resituer, les expliquer… On voudrait prendre des notes, acheter de nouveaux livres en sortant, se plonger ou se replonger dans tous ces auteurs. Luchini a la passion des lettres partageuse, l’amour contagieux des beaux textes. Il est furieusement pédagogique, brillamment didactique.
4) Son spectacle est bien dosé. Bien sûr, il y a les grands textes mais aussi une partie que l’on peut qualifier de stand up. Luchini s’adresse à la salle, commente en direct son spectacle au moment où il se fait, et c’est tordant. Il accueille les retardataires ou s’amuse à décrire son couple-type de spectateurs venu l’applaudir (elle, lectrice de Télérama, est un brin exaltée, et lui, pas sûr de tout comprendre, regrette le match de foot diffusé le soir-même...). Le public rit beaucoup, complice. Luchini raconte aussi des anecdotes de sa vie personnelle et fait de François Hollande sa tête de turc, comme un running gag. Un peu cruel, mais hilarant.
Quelques réserves
Les deux heures de spectacle filent à une vitesse incroyable. On prolongerait volontiers, mais à 21h commence la pièce « Une famille modèle » avec Patrick Chesnais et il faut libérer la salle. Luchini fait alors reprendre en chœur au public la chanson « Mamy Blue », se transforme en prédicateur et déclare : « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son fils unique. » « Quand on y pense, donner son fils unique, ça va loin ! » Effectivement, c’est allé loin… Pour tout dire, on a le sentiment qu’il peine à dire au revoir, qu’il ne sait pas conclure.
Encore un mot...
Le spectacle de Fabrice Luchini consacré à la poésie est une fête. La fête des mots et des grands auteurs. Mieux que personne, il sait mêler le plaisir de l’intelligence et le plaisir de rire. On en ressort grandi. Ce n’est pas si fréquent…
Une phrase
Fabrice Luchini raconte que, venu dans sa loge le féliciter à l’issue d’une représentation, le président de la République, François Hollande lui fait part de son admiration : « Comment fais-tu pour tenir en haleine pendant deux heures un public aussi nombreux ? » Et Luchini de répondre : « Mais moi, j’ai du texte ! »
L'auteur
Fabrice Luchini commence sa carrière de comédien en 1969 avec un film de Philippe Labro au titre prophétique, « Tout peut arriver ». Il se fait connaître du grand public avec « La Discrète », de Christian Vincent, et tourne une soixantaine de films dont six avec Éric Rohmer. Au théâtre, il triomphe dans « Art », de Yasmina Reza, reprend « Knock » et joue « Molly » avec Laurent Terzieff. Ses spectacles littéraires rencontrent des succès colossaux et font de lui un véritable phénomène.
Il vient de faire paraître ses souvenirs, dans un livre passionnant, « Comédie française, ça a débuté comme ça… », chez Flammarion (cf. la chronique de Marie de Benoist pour Culture-Tops).
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Un Prince en son jardin.
Commentaires
Comment dire...? Luchini est un monument, il le sait et peut être en abuse-t-il un peu. Ce formidable cabot quand il n'histrionne pas trop (Pour ceux qui avaient été voir le film Ma Loute..! ) est un diseur de textes et notamment de textes poétiques absolument génial. Il comprend comme tous les grands sensitifs, les meilleurs auteurs. Ceux qui sentent un peu le souffre ("...vous avez dit bizarre...") Il se les réapproprie en allant chercher leur substantifique moelle avec une force de conviction sans égale. Avec aussi une autorité qui laisse loin derrière lui l'amateur ou le chercheur doublé d'un ratiocineur. Luchini sait de toute éternité ce qu'a voulu dire l'auteur ! Alors oui, il est éblouissant quand il récite le Bateau Ivre de Rimbaud.
Un peu moins convaincant quand il revient sur terre faire un métier de chansonnier. Gras :"Ah madame est venu avec son mari qui s'est fait prier mais qui saura bien patienter, escomptant en retour sa petite récompense une fois revenu à la maison". Il peut être néanmoins assez drôle quand il égratigne, ce dont il ne se prive pas, les gens de gauches reconnaissables au fait qu'ils sont généreux avec l'argent des autres ! Et, regardant avec une commisération feinte le public assis tout en haut dans le poulailler :
« L’ascendeur social vous permettra à vous aussi, un jour, de côtoyer les gens de l'orchestre, cette gauche qui lit Télérama et qui a réussi !" etc... Au final un très bon moment quand même dont le meilleur est consacré à la littérature.
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