Mater dolorosa

Que sommes-nous prêts à sacrifier pour sauver ceux que nous aimons et quelles en seront les conséquences inévitables ? Un roman policier intense et bouleversant
De
Jurica Pavicic
Aguilo Noir
Traduit du croate par Olivier Lannuzel
Parution le 4 septembre 2024
396 pages
23,50 euros
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Zvone, policier prometteur, reçoit un appel au travail : un corps est retrouvé dans une usine désaffectée à proximité de Split, en Croatie. C'est celui d'une jeune fille de 17 ans, Viktorija, fille d'un éminent médecin.

Pour le visiteur de passage, la vieille ville de Split inondée de soleil, offre un spectacle enchanteur. Les façades savamment restaurées des anciennes maisons patriciennes qui longent le front de mer pavé de marbre blanc, l'élégante cathédrale et les vestiges dorés par la patine du temps du palais de Dioclétien donnent envie de s'y arrêter pour jouir pleinement de la douceur de vivre qui semble y régner. Or, il ne s'agit là que d'un décor en trompe-l'œil, car la vraie Split est ailleurs, non loin des quais, des restaurants bondés et des jardins luxuriants réservés à quelques nantis. Au-delà de la ville-musée se déploie « la grisaille socialiste », des bâtiments désormais vétustes construits pour loger les ouvriers méritants aux heures glorieuses du communisme. Leurs descendants continuent de s'y entasser, génération après génération, faute de moyens, de perspectives, de travail pour s'évader vers d'autres horizons.

C'est dans l'un de ces logements que vivent une mère, Katja, sa fille Ines et son fils Mario. La mère fait des ménages pour subvenir à leurs besoins, aidée par sa fille, responsable d'un hôtel. Quant au fils, désoeuvré, mutique, indifférent , semble-t-il, à ce qui l'entoure, il reste enfermé dans sa chambre le plus clair de son temps. Or, leur vie terne et routinière est soudain bouleversée par un fait divers sordide. Le cadavre d'une adolescente est retrouvé dans les ruines d'une usine pétrochimique.

Bouleversement d'autant plus dramatique que les deux femmes soupçonnent rapidement Mario d'être l'assassin, sans même se l'avouer l'une à l'autre. Une fois le meurtre découvert, une enquête policière est ouverte, menée par un commissaire plus soucieux de sa réputation que de la vérité. Auprès de lui, l'inspecteur Zvone est déterminé à découvrir, coûte que coûte, le coupable de ce crime abject. Tandis que les deux femmes s'efforcent de détourner les soupçons de Mario, Zvone tente de reconstruire le fil des événements à partir du seul indice dont il dispose : la voiture blanche dans laquelle est montée la victime la nuit de sa mort.

Points forts

  • L'originalité de la forme. Il s'agit d'un roman choral composé de courts chapitres où alterne le récit de ce que vit et pense chacun des principaux protagonistes du roman : Ines, Zvone et Katja mènent parallèlement l'enquête, guidés par les valeurs et les affects qui leur sont propres. Le souci obsédant de la vérité pour Zvone, l'amour de la mère et de la sœur pour Mario, au point qu'on pourrait légitimement considérer Ines comme une nouvelle Antigone. 
  • La dimension sociale essentielle du roman semble l'emporter sur l'intrigue policière mais, au contraire, en renforce le sens et l'intérêt. Le destin de ces personnages est en effet indissociablement lié à celui de la Croatie et, plus généralement, à l'histoire de l'ex-Yougoslavie. Ce pays, l'actuelle Croatie, apparaît écartelé entre la nostalgie d'un passé qui n'a pas tenu ses promesses avec l'effondrement de l'utopie communiste et, d'un autre côté, l'intrusion brutale de la société de consommation à travers la multiplication des centres commerciaux dans les campagnes, les nuisances d'un tourisme de masse, la perte des valeurs qui structuraient la société tout entière. C'est bien un pays en ruines qui nous est donné à voir, d'autant que les traces de la dernière guerre fratricide des années 90 sont toujours présentes, bâtiments éventrés, routes défoncées, bunkers encore nichés au creux des champs et des jardins.
  • Dans un contexte aussi sombre, les trois protagonistes du roman apparaissent comme des héros, chacun dans son rôle, refusant de se résigner au pire pour préserver une dignité si souvent bafouée, redonner un sens à son existence dans un présent devenu chaotique. Tandis que Zvone se bat pour découvrir la vérité, malgré tous les obstacles dressés sur son chemin par sa hiérarchie, les deux femmes font tout pour brouiller les pistes. Ines trouve en elle la force de défier l'ordre social pour défendre le frère tant aimé et se reconstruire. Katja, jusqu'alors prisonnière des obligations qu'elle remplissait scrupuleusement, dans la terreur permanente de Dieu et des hommes, transgresse bien des lois pour l'amour de Mario, « parce qu'une mère ne donne pas son fils ». C'est évidemment elle la mater dolorosa qui donne son titre au livre.

Quelques réserves

 Aucune réserve car Mater Dolorosa est un grand roman policier, genre trop souvent méprisé, auquel Pavicic rend à tout le moins ses lettres de noblesse.

Encore un mot...

Ce livre, parfois poignant, nous fait pénétrer dans les tréfonds d'une société malade et les méandres de l'âme humaine. L'écriture blanche, la précision quasi chirurgicale du récit produisent un contraste saisissant avec la dure réalité qui nous est décrite.

Une phrase

  • “ Un relief de la Vierge trône au milieu de l'autel, elle est vêtue d'une tunique et a l'air émue. De sa poitrine déborde un cœur jaune chromé d'où partent radialement sept couteaux. Deux mots sont écrits sous le relief, des mots en latin que tout le monde comprend : Mater Dolorosa. Mère de toutes les mères, qui souffre comme chacune des femmes ici, comme moi, pense souvent Katja.” Pages 102-103

  • “Voilà comment çà se passe chez nous d'une génération à l'autre, pense Zvone ironiquement. La première construit et acquiert. Et celles qui suivent se contentent d'occuper.” Pages 286

L'auteur

Jurica Pavicic est un écrivain croate né à Split en 1965. Il est l'auteur de nouvelles et de romans policiers traduits en plusieurs langues, dont L'Eau rouge (Adullo, 2021) avec lequel il obtient le prix du polar européen et le grand prix de littérature policière etrangère, La Femme du deuxième étage (Agullo, 2022), Le Collectionneur de serpents (Agullo, 2023)

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