La Solitude est un cercueil de verre
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Thème
Dans les années 50, Venice, petite station balnéaire proche de Los Angeles, s’enfonce dans la décadence, livrée aux démolisseurs après avoir été la Venise de Californie et la résidence privilégiée des stars du cinéma muet.
C’est là qu’un soir d’orage, dans un vieux tramway grinçant, un jeune écrivain sans le sou entend prononcer derrière lui une phrase étrange « la solitude est un cercueil de verre», avant de découvrir le cadavre d’un vieillard flottant dans une cage immergée.
C’est le début d’une longue suite de morts inexpliquées…
Persuadé qu’il a entendu la voix de l’assassin, le narrateur s’adresse à l’inspecteur Crumley pour tenter d’endiguer la fatale série.
Points forts
De nombreux thèmes s’entrecroisent dans ce roman noir baroque, plus près de l’élégie que du policier, qui joue avec le fantastique et côtoie le trivial :
1 – La décadence : la nostalgie et la décrépitude marquent les villas devenues masures imbibées de brouillard et de pluie, les eaux gluantes des anciens canaux charrient des restes innommables, (mais un soleil africain plombe le jardin-jungle de Crumley, où vient se ressourcer le narrateur quand il n’en peut plus de la corne de brume).
2 – L’apparence et la réalité : Jeunesse/vieillesse, beauté/laideur, où est le réel ?
John Wilkes Hopwood, interprète de Rommel au temps du muet et viré des studios en 1929, a toujours le corps d’un Antinoüs ; Constance Rattigan, ex-starlette calfeutrée dans son palais marocain depuis trente ans, est capable de performances de nageuse olympique ; Henry, l’aveugle clairvoyant se dirige mieux que quiconque ; Fannie, la soprano paralysée par l’obésité, garde sa voix d’or pour les maltraités de la vie…
3- La médiocrité et le renoncement : les « meurtres » relèvent de l’autodestruction dès lors que leurs pauvres cibles ont abandonné le combat.
4 – l’importance de la culture et de la littérature : L’écrivain « martien » est aussi à l’aise en compagnie des dieux de l’Olympe que des personnages de comics de 1920 (sergent Kupp et Krazykat), Lewis Caroll rencontre les frères Grimm derrière sa machine à écrire, Kant et Sigmund Freud le guettent à chaque coin de rue…
5 - Si la traduction est quelquefois poussive, le titre français, poétique en diable, (trouvaille du traducteur Emmannuel Jouanne ?) est bien supérieur au titre original « Death is a lonely business ».
Quelques réserves
Répétitif et parfois pompeux, le roman aurait sans doute pu se limiter à une longue nouvelle, genre dans lequel Bradbury excelle. Avec plus de concision, il y aurait gagné en force.
Encore un mot...
Les affres de la création chez un jeune auteur qui n’est pas encore le célébrissime Bradbury me semble être l’un des intérêts primordiaux de ce roman foisonnant, écrit en fin de vie et très différent des genres qui ont fait la célébrité de l’écrivain. Cette dimension particulière (même si elle est moins aboutie) n’est pas sans rappeler le superbe « Martin Eden » de Jack London.
Une phrase
- p. 85 : « Je tapais sur ma machine à écrire pour lui arracher de mauvais poèmes, ou écrivais l’histoire d’une épouse martienne qui se languit d’amour et rêve qu’un terrien tombe du ciel et se fait tuer pour la peine. » (cf. Chroniques martiennes – Ylla)
- p ; 237 : « Je faisais le Rêve (…) Quelqu’un se précipitait en brandissant un télégramme m’annonçant que je venais de vendre pour cent mille dollars de droits d’adaptation au cinéma ! (…) Je voyais tous les visages se muer en glace quand ils se forçaient à me faire des sourires de félicitations (…) Soudain j’étais l’étranger (…) J’avais changé pour toujours. On ne me le pardonnerait jamais ».
- p. 302 : « Le vent soufflait dehors et les arbres tremblaient et d’un seul coup ces foutues idées se sont mises à bouillonner comme des asticots sur une plaque chauffante. Et je me suis levé comme un beau diable, j’ai marché, je me suis assis et je me suis retrouvé en train de taper comme un malade, incapable de m’arrêter, et à l’aube il y avait une grosse montagne, ou une taupinière de papier, et je ne cessais de rire et de pleurer. (…) Et sur le coup de six heures du matin je me suis allongé là en regardant toutes ces feuilles et en riant, en riant, et en me sentant aussi comblé que si je venais de vivre le début d’une histoire d’amour toute neuve avec la plus belle fille du monde. »
L'auteur
Mort en 2012 à l’âge de 91 ans, Ray Bradbury est une référence de la science-fiction américaine des années 50 (Van Vogt, Asimov etc…) avec Chroniques Martiennes, Fahrenheit 451, ainsi que bien d’autres nouvelles plus proches du fantastique que de la réalité scientifique. En ce sens, les amateurs de science-fiction pure et dure ne se reconnaissent guère dans une œuvre qui en reste toutefois l’une des premières signatures.
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