Chronique festivalière du 21 juillet
Bonjour à tous,
Le festival d'Avignon fête aussi la poésie, le rêve , la danse , la puissance de l'esprit à transcender les imperfections du quotidien. C'est ce que l'on découvre avec bonheur.
Bonne promenade.
Jean-Pierre Hané
OPERETTE A RAVENSBRUCK - De Germaine Tillion
Chien qui fume – 10H30 – relâches les 12,19,26 juillet
Mise en scène : Claudien Van Beneden
Avec : Solène Angeloni, Angéline Bouille, Isabelle Desmero, Barbara Galtier, Claudine Van Beneden, Raphaël Fernandez, Grégoire Béranger
Germaine Tillion , déportée à Ravensbruck écrit une opérette-revue qui met en scène un conférencier qui expose ses théories sur les « Verfügbar » - l’espèce des déportées… Face à lui une groupe de prisonnières chantent et dansent pour contester, dénoncer.
POINTS FORT
Le sujet tragique et son décalage extraordinaire écrit par celle qui a vécu l’enfer et témoignera toute sa vie.
Le formidable message de volonté et de courage qu’il véhicule
Une équipe artistique au top
POINTS FAIBLES
Je serai étonné qu’on en trouve un
ENCORE UN MOT
Dénoncer l’horreur des camps en contournant le sujet pour résister au désespoir et raconter le sort des femmes du camp de Ravensbruck. Revêtir le costume de l’opérette et de la légèreté , c’est l’entreprise folle et courageuse, héroïque de Germaine Tillion, grand témoin de l’époque. Un spectacle inachevé et quasiment oublié dans la mémoire de l’Histoire et qui vient nous percuter en plein coeur de ce festival 2022.
Non, ce n’est pas un ennième spectacle sur les camps mais un témoignage direct sans fards de celles qui ont été marquées dans leur chair. Le principe-prétexte de la conférence ethnologico-scientifique en fait une œuvre originale qui mêle adroitement la légèreté de la musique et l’écriture cinglante du livret. Une pièce plus que nécessaire pour faire connaître aux jeunes générations ce que fut cette époque et une bonne piqûre de rappel pour des consciences qui ont tendance à s’endormir. « Le ventre est encore chaud d’où est sortie la bête immonde ». Ne passer pas à côté de ce spectacle majeur.
BIEN AU DESSUS DU SILENCE – de Violaine Arsac et de 17 poètes
La Luna – 13H – relâches les 12,19,26 juillet
Mise en scène : Violaine Arsac
Avec : Olivier Bénard, Florence Coste ou Charlotte Durand-Raucher, Steven Dagrou, Nadège Perrier, Nicolas Taffin
Un florilège poétique réunissant 17 plus grandes plumes de notre temps sur des sujets brûlants d’actualité injustice, oppression, solidarité, amour.
POINTS FORTS
Une équipe de comédiens-diseurs efficaces
Une chorégraphie d’Olivier Bénard sur des musiques de Stéphane Corbin qui donne une respiration bienvenue au spectacle
POINTS FAIBLES
Un mise en scène un peu trop démonstrative à mon goût, les textes se suffisent à eux-mêmes , mais le désir de bien faire est tout à fait pardonnable surtout si c’est pour nous plonger au cœur de la langue et ouvrir nos esprits à la poésie – chant de l’âme.
ENCORE UN MOT
On est baigné dès l’ouverture par Prévert et on refermera le florilège par Eluard. La promenade est belle, le choix des textes judicieux et parfois audacieux. Redécouvrir que l’homme a toujours su, quels que soient les événements, les transcender par des mots et faire chanter une langue qui nourrit le cœur et l’âme. On se rend compte à quel point on a besoin de poésie dans notre monde envahi par une image trop colonisatrice qui circonscrit la pensée – chose que la poésie fait voler en éclats.
Un beau spectacle à voir, à entendre et à respirer.
MAIS JE SUIS UN OURS – d’après Franck Tashlin
L’oriflamme – 14H50 , relâches les 12,19,26 juillet
Mise en scène : Charles Lee et Patrick Dray
Avec : Patrick Dray
Le jour où l’ours s’endort dans sa caverne pour entrer en hibernation , il ne se doute pas que pendant ce temps-là les hommes vont construire une énorme usine et raser sa forêt. Qu’elle n’est pas sa surprise en sortant et quelle difficulté de faire comprendre à tous ceux qui l’entourent qu’il n’est pas un homme, qu’il ne peut pas travailler… mais on lui objecte constamment la même rengaine : « Vous n’êtes pas un ours, vous êtes un imbécile qui a besoin de se raser et qui porte un manteau de fourrure ». Une épopée à rebondissements.
UN MOT
Patrick Dray nous entraîne dans cette fable philosophico- écologiste avec bonne humeur et décalage à la manière d’un conteur qui aurait bien du mal à tisser le fil de son histoire. Un spectacle à double lecture pour petits et grands. Un format court, drôle, net et efficace.
ON NE PARLE PAS AVEC DES MOUFFLES – de Denis Plassard et Anthony Guyon
Chorégraphie : Denis Plassard
Avec : Denis Plassard et Anthony Guyon
L’histoire invraisemblable d’un sourd et d’un entendant coincé dans un ascenseur. L’un ne comprend pas ce que l’autre dit en langue des signes. De là naît un double langage où chacun raconte son histoire dans sa langue. Un casse-tête follement drôle et extrêmement original.
POINTS FORTS
L’idée du spectacle et la magie de ce que le corps véhicule en termes de langage.
L’admirable complicité hilarante des deux danseurs.
La simplicité de la scénographie qui laisse toute sa place au corps.
POINT FAIBLES
Je vais arrêter de non-remplir cette rubrique-là ou plutôt, je donne a langue au chat.
ENCORE UN MOT
Ce spectacle réussit l’exploit d’être le seul spectacle accessible (sur 1800 spectacles) au sourds et malentendant à l’heure ou l’inclusion est le grand chantier national. Chacun des spectateurs selon son registre de langage ne comprendra pas forcément la même chose et c’est là tout le sel de ce duo redoutablement original et comique. La découverte d’une nouvelle langue pour certains et surtout l’extraordinaire pouvoir du corps sur la parole.
Une sorte de double one-man show ou de deux solos conjointement chorégraphié, un coup à devenir complètement schizophrène … mais c’est tellement bon. Un grain de folie plus que nécessaire. Ne faites pas l’économie de ce bon moment.
PEOPLE WHAT PEOPLE – de Bruno Pradet
La Scierie – 18H – jusqu’au 16 juillet
Avec : Pascal Beugré-tellier, Christophe Brombin,Céline Debyser, Jules Leduc, Thomas Régnier, Angela vanoni, Loriane Wagner
Un superbe élan chorégraphié dans un souffle rebondissant. Le travail de chœur prend toute sa place dans les thématiques abordées où les corps agissent comme des aimants parfois et comme des électrons libres à d’autres moments. Musique électro, pulsations permanentes qui dynamise tous les mouvements dans une frénésie joyeuse qui atteint souvent le niveau de la transe. Un spectacle envoûtant par son univers lumineux, on frise l’hypnotisme et on se laisse porter avec plaisir.
CHANSONS DE MOI ET MOI ET MOI… - De Stéphane Roux
Jusqu’à présent, il chantait les chansons des autres, aujourd’hui il se met en lumière et ose nous proposer son univers personnel. Subversif, politique, social mais aussi fragile et délicat avec ses chansons d’amour. Il y a des failles dans cet auteur à la voie rocailleuse, et au timbre rauque qui donne une couleur rimbaldienne à ses révoltes. Piano-voix et tantôt voix seule avec le public pour seul accompagnement, Stéphane Roux nous entraine dans son univers teinté de révolte , d’amour et d’érotisme. L’œil frise, le charme agit sur chaque titre et donne envie de suivre ce jeune auteur-compositeur-interprète qui nous chavire sur son bateau ivre de tendresse même par gros temps, comme ceux que nous venons de traverser. Faites confiance au Capitaine et venez partager une traverser en sa compagnie – tangage et roulis garantis.
JE M’APPELLE ADELE BLOOM – de Franck Harscouët
Condition des soies – 21H40 – relâches les 11,18,25 juillet
Mise en scène : Franck Harscouët
Avec : Armelle Deutsch, Sophie-Anne Lecesne, Philippe d’Avilla, Laura Elko
Providence – Hôpital psychiatrique voit l’arrivée dans ses murs de Adèle Bloom, jeune femme à fleur de nerfs sur qui vont être pratiquées de nouvelles méthodes de soins sur le cerveau. En 1947, les progrès sont loin d’être opérants en la matière et la pauvre Adèle aura bien du mal à se perdre et à retrouver le chemin de la vie et de l’espoir. Adèle Hugo, Francès Farmer et Rosemary Kennedy flottent comme des fantômes dans l’ambiance de ce « thriller médical »
POINTS FORTS
Un texte bouleversant de précision et de (dés)humanité sur le sort des malades mentaux au milieu du siècle.
La déchirante interprétation d’Armelle Deutsch dans cette Adèle qui fond comme un glaçon dans l’océan des troubles qui la submergent.
Les métamorphoses de Sophie-Anne Lecesne dans ses différents personnages qui consacrent la figure d’une mère qui obsède sans cesse Adèle.
Le charme vénéneux de Philippe Davilla en médecin tortionnaire et visionnaire.
Le toucher et la présence délicate de Laura Elko et de sa marionnette
POINTS FAIBLES
L’assise du théâtre, prévoyez un petit coussin.
ENCORE UN MOT
Ce qui touche avant tout dans ce spectacle c’est l’incarnation d’Armelle Deutsch dans ce personnage qui s’échappe d’elle-même et dont la seule ressource pour ne pas couler est l’écriture. Il y a dans l’écriture de Franck Harscouët une dramaturgie de la chute dans l’abîme remarquable de précision. Le monde de la science n’est pas présenté sous son meilleur jour mais il met en lumière l’irresponsabilité d’un corps médical qui parfois se prend pour « Dieu » et qui n’est qu’un misérable « diable » d’orgueil aux dépends de vie humaine. L’actualité nous a récemment illustré le propos. Un spectacle percutant, humain, déchirant qui se vit comme un roman. Allez vite en tourner les pages, c’est haletant.
OCCIDENT - de Rémi de Vos
Corps Saints – 19H – relâches les 11,18,25 juillet
Mise en scène : Laurent Domingos
Avec : Aurélie Cuvelier-Favier et Virgile Daudet
Elle, elle ne sort jamais, blasée de tout, ne s’intéressant pas à grand-chose. Lui, est toujours dehors au Palace, pour boire là-bas, parce qu’il y a de vrais français. Il a quand même un pote, Mohamed. Mais lui « c’est pas pareil », il n’est pas comme tous les autres arabes « et surtout pas comme les yougoslaves ». Un couple ordinaire, banal qui ne se voit plus, qui sombre, ou bien quand les deux se rencontrent tout s’articule comme un combat de boxe. Qu’est-ce qui peut faire sens aujourd’hui dans la vie ? Quel sens ont vraiment les mots « échange », « partage », « l’autre ». Un regard sans concession qui questionne dans un rire libérateur parfois.
POINT FORTS
Une interprétation sans faille.
Un texte exigeant, ciselé.
Une esthétique scénique originale
POINT FAIBLES
… pas trouvé
ENCORE UN MOT
Une farce tragique se déroule sous nos yeux, qui bascule entre rire et violence.
Tous les maux de notre société en mal de communication sont exposés à nu dans une langue parfaitement ciselée. On y entend toutes ces petites lâchetés qui nous irritent et nous laissent parfois perdus dans nos fondamentaux. Tout est provocation, affrontement, dans un dispositif ingénieux d’un ring qui représente cet appartement où le couple se déchire et tente de s’aimer en désespoir de cause.
Un humour féroce et une magnifique direction d’acteurs offrent aux deux interprètes l’occasion de nous éblouir dans une interprétation parfaite.
Ça grince, ça étrille les oreilles, ça surprend. Une belle découverte à faire dans ce festival.