Ma tragique ambassade. Vatican, 27 mai-1er novembre 1940

Un témoignage inédit, exhumé et publié à 80 ans de distance… Au service de la vérité, sans chapelle…
De
Wladimir d’Ormesson
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4/5

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Thème

Wladimir d’Ormesson est « né » dans la diplomatie ; fils d’ambassadeur, il a vécu enfant dans les palais de la République Française à Copenhague, Lisbonne ou Athènes. Négligeant la carrière au profit du journalisme, il en connaît néanmoins tous les rouages et tous les hommes. Son nom circule dans le couloirs du Quai d’Orsay, sa maîtrise des sujets qui touchent aux relations internationales, son indépendance et sa probité associées à cette enfance « hors les murs » plaidant pour son recrutement. Paul Reynaud va donc « le proposer » au Président Lebrun pour présenter ses lettres de créance au Pape récemment installé sur le trône de Saint Pierre, Eugenio Pacelli alias Pie XII, à l’heure à laquelle les divisions blindées du IIIème Reich ont déjà envahi la Belgique et menacent la France des Ardennes à la Somme. Il va donc embrasser la carrière dans ces circonstances extrêmes et représenter le fantôme de l’Etat Français auprès du Saint Siège, du 27 mai 1940, à l’aube de la débâcle et de la reddition décrétée par Pétain, jusqu’au 1er novembre suivant, Laval l’éconduisant mezzo voce pour lui préférer un homme lisse et à sa botte en la personne de Léon Bérard.

 C’est de cette ambassade si courte et si dense, dans cette période si dramatique, que ce diplomate novice va dresser le récit dans la foulée de sa disgrâce, pour en garder le souvenir intact sans laisser de prise au temps et à la réécriture de l’histoire. Pour, en substance, analyser les causes de la défaite, dénoncer les incessantes compromissions des pouvoirs de droite et de gauche au service d’une paix illusoire, mesurer leur pusillanimité devant les assauts successifs d’Hitler, ainsi le réarmement de la Rhénanie en fraude des engagements du Traité de Versailles, et pour envisager surtout les dernières possibilités offertes par son mandat de conjurer l’impensable, la déclaration de guerre du 10 juin 1940 de l’Italie fasciste à la France, analysée par la Curie et par son Chef comme une agression fratricide au regard des liens privilégiés unissant la France et l’Italie, les deux filles de l’Eglise. Une agression fratricide impensable et inconcevable mais subie sans broncher par un Pape meurtri, effaré par la brutalité et les abjections du Duce et de ses troupes mais rendu désespérément muet et impuissant, un Pape qui ne comptera plus en somme que sur Dieu et la Providence, plus prosaïquement sur l’Angleterre et ses alliés unis contre le fascisme pour que triomphent la raison et la justice.

Points forts

  • L’évaluation des événements dramatiques par l’un de ses témoins privilégiés, un homme de bonne volonté, compétent et lucide.
  • Dans ce registre, l'appréciation portée sur le rappel de Pétain et l’armistice du 22 juin 1940 qu’il jugera à ce stade et comme tant d’autres opportuns l’un et l’autre, avant sa rupture avec l’homme de Verdun décrit comme un vieillard quasi-sénile et manipulé par Laval, mutant du statut de sauveur vers celui de fossoyeur, responsable statutaire d’une collaboration indigne évoluant vers une compromission abjecte dans les crimes du Reich, une appréciation éloignée du manichéisme de circonstance refusant de considérer l’armistice en soi comme une option possible par l’effet d’un amalgame contestable avec la suite.
  • L’analyse très fine des forces en présence, de la complexité des enjeux et notamment ceux qui plaident pour ou contre l’alliance avec Staline, balançant entre le rejet absolu du communisme et la solidarité qu’implique le combat à mener contre l’Allemagne, du rôle difficile du Pape dans cette curée, écartelé entre tous ces acteurs avides de pouvoir, nazis et fascistes confondus, pleins de mépris, de jalousie et de haine, assoiffés de pouvoir, obsédés par la destruction du monde chrétien, une quête qui fait toujours des émules.

Quelques réserves

Le trop plein de noms cités, dans les familles alliées de celle de l’auteur, privilège des aristocrates qui sont toujours cousins de la moitié de la planète, dans les ministères et au quai d’Orsay notamment, à Rome au sein de la Curie, repaire de prélats italiens, français, et autres fonctionnaires zélés … l’abondance de ces noms nuisant quelquefois à l’essentiel qui réside dans l’analyse d’un enchaînement dramatique même si les portraits dressés ici ou là nourrissent avantageusement l’inventaire.

Encore un mot...

Ce récit unique se décline comme une tragédie, dans une sorte d’unité de temps et de lieu si on le cantonne à cette très courte période de l’histoire sur ce tout petit territoire du Vatican… sauf à la placer au cœur d’un conflit qui va devenir planétaire. La mission assignée semble dérisoire puisqu’elle incombe à un diplomate sans pouvoir, agissant au nom d’un pays acculé et à moitié dévasté alors qu'elle s’engage auprès d’un homme qui n’a d’ascendance sur le monde que d’ordre spirituel.

Le Pape, combien de divisions ? ironisait Staline. Et pourtant, en lisant ces lignes, on appréhende la puissance de cet ordre moral incarné par le Pape, certes pusillanime mais authentiquement saint, un ordre qui triomphera finalement des forces de l’Axe, l’axe du mal. À lire comme un témoignage original de cette phase de l’histoire du monde, écrit sur le vif, ce qui le fait gagner en sincérité quand tout a été dit depuis avec plus ou moins de bienveillance, d’intérêts partisans et d'esprits  de chapelle, de maladresses et d’approximations. A compléter par la lecture d’Etienne Fouilloux, historien spécialiste de la religion catholique qui a publié la biographie de Monseigneur Tisserant, un brillant exégète polyglotte, tranchant beaucoup sur l’onctuosité des princes de la Curie, très hostile aux nazis et à ce titre démuni devant la passivité de son Pape.

Une phrase

  •   La cérémonie, identique à celle du dimanche précédent, avait ceci de plus émouvant pour moi que les circonstances étaient bien plus tragiques. Pendant ces huit jours, le sort de la France s’était joué - et perdu. L’Italie de son côté s’était jetée sur le cadavre de mon pays… aucune parcelle d’espoir ne brillait plus dans la nuit qui avait comme englouti la France.” Page 174
  •  “Je regardai Pie XII. Son expression était admirable de simplicité et de ferveur. Une spiritualité extraordinaire, quelque chose d’extra-terrestre se dégageait de son visage, de sa personne.” Page 346

L'auteur

 Wladimir d’Ormesson est le fils d’Olivier, ambassadeur de France, et le frère d’André, ambassadeur lui aussi, encore l’oncle de Jean avec lequel il « partagera » Le Figaro et « l’Académie » à quelques années de distance. Né en 1888 à Saint-Pétersbourg, il occupe un poste d’officier d’ordonnance au Maroc auprès du Maréchal Lyautey pendant la Première Guerre mondiale après avoir été blessé au front en 1916. Il entre dans la clandestinité en 1942, ce qui lui vaudra une condamnation à mort par contumace. Démobilisé, il entreprendra une carrière de journaliste, collaborera à La Revue des Deux Mondes et au Figaro dans l’Entre-deux- guerres. Pour prendre l’ambassade de France auprès du Saint Siège à deux reprises, dans ces circonstances dramatiques de l’été 1940 puis à nouveau entre 1948 et 1956 après avoir occupé le même poste à Buenos-Aires. Auteur prolixe, il entre « Quai de Conti » en 1956 et siège dans le fauteuil de Paul Claudel. Le Général de Gaulle lui confiera en 1964 la direction de l’ORTF.

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