LA MOUETTE
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Thème
- Le théâtre, c’est la passion, le théâtre c’est l’amour, on ne peut se passer de théâtre - tel était le credo d’Anton Pavlovitch Tchekhov présentant La Mouette. Mais que de souffrances, de tourments et, en définitive, d’échecs ! La Mouette symbolise la vie de Nina, une jeune fille qui a grandi au bord d’un lac immense et magnifique et qui, éprise de liberté, s’identifie à cet oiseau qui plane libre et majestueux au gré des vents.
- Nina est mue par la passion du théâtre et de la création, elle rêve de réussite d’actrice ou d’écrivaine ; elle ne connait pas l’amour, et pourtant Konstantin, jeune écrivain en quête de succès, est là tout près et n’a d’yeux que pour elle. Non, elle va tomber éperdument amoureuse du mari de la mère de Konstantin, auteur à succès, époux d’une actrice très belle et reconnue !
- Hélas, Nina, éblouie par ce Trigorine superficiel, se brûlera les ailes au sens propre comme au sens figuré, puisque Trigorine finira par mégarde par abattre la mouette du lac, et par lâcheté à rejoindre la belle actrice Arkadina. Triste fin, prémonitoire.
- Autour de ces trois rôles principaux s’agitent, tantôt vibrionnants, tantôt dépressifs, sept autres personnages aux destinées agitées et sources de désillusions : ainsi la sombre Macha, tout de noir vêtue, qui, du haut de son amour déçu pour Constantin, se jettera avec désespoir dans le mariage avec un instituteur falot. Il y a aussi le conseiller d’Etat Sorine, podagre et malheureux de n’avoir pu embrasser la carrière d’écrivain. Même le rayon de soleil entrevu avec la belle gravure de mode et artiste fatale Arkadina sera voué à une extinction soudaine et dramatique.
- Ainsi donc, pendant deux heures électriques dans une maison bourgeoise ouverte à tous les vents où l’on parle haut et fort mais avec élégance, la passion de la création et du théâtre s’entremêle avec les méandres des amours contrariées.
Points forts
- Un texte remarquable très clair, “théâtral“ sans excès, très bien mis en valeur par chacun des protagonistes, hommes ou femmes
- La thématique binaire qui mène en parallèle les deux dimensions de la pensée de Tchekhov - les drames de l’amour et l’impérieuse nécessité du rêve – lesquelles se renforcent tour à tour.
- Le jeu des comédiens, tant pour l’expression corporelle que pour la diction. Saluons en particulier la prestation de Raphaël Naasz (Constantin), sa retenue toute en émotion, très convaincant dans sa leçon de théâtre.
- Raphaëlle Bouchard, remarquable dans son rôle au début de grande star, sûre d’elle et dominatrice, puis ensuite dans sa double composition : défaite dans son cœur et reconquête de son amour. Elle est extrêmement élégante et d’une grande classe.
- Un tout petit peu en dessous (mais le rôle est difficile), on citera Pauline Belcatto dans le rôle de Nina, gentille mouette, attachante mais peu audible (la déprime exagérée ?) dans la toute fin, au retour de Moscou
- Dans les rôles masculins, on remarquera aussi bien Fabien Orcier dans un Sorine monolithique que Bertrand Pons dans un Trigorine formidablement hypocrite.
Quelques réserves
Aucune, même à propos de la mise en scène qui, réduite à sa plus simple expression (autour du plateau de bois dont les pièces tel un puzzle se défont peu à peu - encore un symbole !), nous parait correspondre à la volonté de l’auteur et même la renforcer .
Encore un mot...
- Notre pièce de Tchekhov préférée, peut-être parce que la moins connue. Lorsque la pièce est donnée en 1886, elle ne remporta aucun succès, bien au contraire. La vindicte des opposants visait avant tout la soi-disant naïveté du propos, et surtout mettait en cause l’extrême jeunesse du héros Constantin qui prétendait donner des leçons de théâtre et mettre à bas toutes les règles du théâtre classique en vigueur jusqu’ici.
- Ce n’est que deux ans plus tard que La Mouette rencontra son public. Ce que nous aimons aujourd’hui, c’est justement la jeunesse, le caractère intergénérationnel, la contemporanéité du propos.
- La Mouette offre une bonne leçon pour les hommes et les femmes de l’art et pour les créateurs qui souhaitent s’adresser à des générations successives. Pour rencontrer cette jeunesse et s’assurer d’une “ transmission“, il faut lui proposer des thèmes, une dialectique qui la concerne tout en favorisant le rêve. C’est, je crois, ce que réussit ici Anton Tchekhov, encore mieux peut-être que dans La Cerisaie ou dans Oncle Vania.
Une phrase
Nina : « C’est difficile de jouer dans votre pièce, il n’y a pas de personnages vivants »
Constantin : « Des personnages vivants ? Il faut peindre la vie non pas telle qu’elle est mais telle qu’elle devrait être, mais comme elle apparaît dans les rêves. L’art est un rêve ou une extase. »
(Acte premier)
L'auteur
- Est-il besoin de présenter Anton Tchekhov, gloire nationale russe ? Juste un mot pour dire que, né en 1860, disparu en1904, (la tuberculose décelée dès 1880) Tchekhov écrivit La Mouette à l’âge de 36 ans. Cette pièce suivit deux œuvres qui remportèrent un succès notable, mais précéda ses chefs d’œuvres que sont Ivanov, La Cerisaie, Oncle Vania, Les Trois Sœurs, et Platonov.
- N’oublions pas que Tchekhov a écrit en 25 ans plus de 600 œuvres, des centaines de nouvelles, des poèmes, douze pièces de théâtre et des articles souvent amusants et cocasses, dotés d’un grand réalisme et de beaucoup d’humour !
- Féroce et sarcastique, il a bataillé toute sa vie contre les privilèges de la noblesse et une maladie qui le condamnait sans appel. Tchekhov a cumulé pendant une grande partie de son existence deux activités : d’abord son premier métier de médecin, qu’il considérait comme sa femme alors que le théâtre, sa deuxième vocation, était à ses yeux comme sa maîtresse (un peu misogyne, Anton !)
- Amusant aussi de constater qu’à l’époque, la médecine ne nourrissait pas son homme (sa clientèle, des paysans, une fois sur deux, ne le payaient pas). Il a dû, pour nourrir sa famille et voyager (il adorait les voyages, notamment en Extrême Orient), produire de plus en plus de pièces et de nouvelles pour la presse. Il fut largement récompensé de son vivant et partagea l’amitié d’artistes et écrivains notables comme Léon Tolstoï, Tchaïkovski, Maxime Gorki, qu’il a défendu becs et ongles au risque de se perdre, et Dmitri Grigorovitch, qui lui a permis de prendre son envol. Il admirait beaucoup Zola.
- Sa fin, racontée par sa femme Olga, une ancienne actrice, fut toute proustienne : « Je meurs… Cela fait longtemps que je n’ai pas bu de Champagne » souffla-t-il, la coupe aux lèvres…
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