Un prince
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Thème
Un homme seul, mal rasé, mal fagoté, maladroit et harassé, s’accroche à mi-pente de ce qui semble être une dune - en tout cas une butte de sable - traînant une sorte de caddy rempli de cartons, son seul et unique bagage.
L’homme, simple et attachant, mais surtout naïf, s’émerveille comme un enfant de la nature qui l’entoure alors qu’il s’agit d’un no man’s land urbain. Cet homme n’a plus rien, n’est plus rien, mais il rêve. Il n’a plus ni toit ni épouse ni boulot. Il est dépossédé de tout, broyé qu’il est par la machine infernale du capitalisme industriel des Trente Glorieuses, pour lesquelles le profit et la rentabilité sont les seules lois qui vaillent dans les années 1950.
Les HLM de la Seine Saint-Denis et les usines automobiles de Flins ont remplacé les terres chaudes et ocres plantées d’arganiers courant jusqu’à la mer. A l’époque, on en avait besoin, on est venu le chercher en lui faisant miroiter une longue et fructueuse carrière d’ouvrier spécialisé (!), la sécurité sociale et des études pour ses enfants, et peut être pour l’ainé, amoureux du football, un avenir de champion.
Et puis la roue a tourné. Le fils qui avait emboîté le pas de son père et endossé son costume de soudeur se retrouve délocalisé… au pays de ses ancêtres, au Maghreb, pour un salaire de misère et finalement licencié. C’est le retour à l’envoyeur (ou à l’employeur), l’immigration à l’envers ! • Cinquante ans de gâchis, deux générations d’illusions perdues. On croyait en avoir terminé avec la “sale guerre“, mais elle a juste été remplacée par la guerre de rue…
Heureusement subsistent pour le pauvre fils le rêve et la poésie. Guidé par les étoiles, il part sous nos yeux écrasé par le fardeau d’un lourd et pourtant bien maigre héritage, celui du souvenir, en quête d’un paradis disparu.
Points forts
Une formidable poésie porteuse d’émotion, Le Petit Prince et les étoiles transposé dans un conte moderne. Ce comédien exceptionnel qu’est Sami Bouajila interprète tour à tour - on l’a compris- le rôle du père et du fils. Il est habité successivement par ses deux personnages, submergé lui-même parfois sa propre émotion. C’est du vécu ou presque !
Avec une mise en scène sobre, dépouillée, mais un décor envoûtant qui met le spectateur sous pression dans cette immensité nue, le grand Bouajila devient un tout petit bonhomme hésitant, trébuchant, comme écrasé par la voute céleste, entendant des voix et dégageant malgré tout une formidable énergie, l’énergie du désespoir
Quelques réserves
- Le texte n’a pas la puissance concentrée du décor et de la mise en scène, ni la présence énorme du conteur. L’auteur s’essaye à la pensée politique, mais n’évite pas quelques poncifs ni une simplification réductrice des bons sentiments récurrents, suite à la « paix des braves » déclarée par de Gaulle pour clore les « événements d’Algérie » d’il y a plus de 60 ans.
Encore un mot...
- LE PRINCE de la pièce et le Prince sur les planches ne font qu’un : Sami Bouajla incarne l’intégration réussie, l’interprète, l’homme blessé, l’homme déraciné qui laisse une partie de lui-même sur scène. Rappelons que ce comédien de 57 an a joué dans 54 films ou séries ! Il eut des rôles notables dans Bye Bye (1995), La Faute à Voltaire (2006), Les Témoins (André Téchiné, 2007), obtint le César du second rôle pour Omar m’a tuer (2010). On le retrouve dans Braqueurs (2015, série TV) et dans Indigènes de Rachid Bouareb (2016). Sami Bouajila a enfin remporté le Prix d’interprétation masculine au festival de Cannes en 2019 pour Un fils de Rachid Barsaoui, puis le César du meilleur acteur pour La Terre et le sang (2020).
- Ce soir-là, le souvenir de son père disparu sans mémoire et donc sans transmission l’étreint et lui fait venir les larmes aux yeux. Un souffle d’émotion gagne la salle…
Une phrase
- « Si j’ai décidé de m’aventurer dans ce récit en tant qu’interprète et coproducteur, c’est avant tout pour sa résonance avec mon histoire, mes doutes existentiels, et parce qu’il me renvoie à l’une des préoccupations premières de nombreux comédiens, celle de mettre en jeu dans la fiction des expériences profondes, comme il en existe dans la vie à travers des rôles qui ne sont pas les caricatures d’êtres humains. » (Sami Bouajila)
L'auteur
Emilie Frèche, 48 ans, est une femme de lettres et scénariste engagée notamment dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Son père, d’origine algérienne séfarade, est le fondateur de la marque de mode LOFT, et son oncle n’est autre que Daniel Hechter. Epouse du socialiste Jerôme Guedj, elle a écrit de nombreux livres, essais, articles sur l’identité, la judéité, les rapports familiaux et amoureux, l’antisémitisme (L’affaire Ilan Halimi).
Emilie Frèche cosigne le film d’Yvan Attal Ils sont partout, ainsi que le Ciel attendra sur le drame des jeunes filles séduites par le djihadisme. Elle a écrit aussi Vivre ensemble, Je vous sauverai tous, Les amants du Lutétia.
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