RANGER
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Thème
- Un grand écrivain, arrivé au terme de son œuvre, décide, avant de quitter la vie, de faire de l’ordre, de ranger ses souvenirs, ses sentiments, ses expériences, ses voyages et surtout ses amours. Son unique amour en réalité, car cet homme puissant, solide, apparemment indestructible est brisé, terrassé. Il ne supporte plus sa solitude depuis la disparition de sa femme adorée.
- Echoué à Hong Kong à l’occasion d’une conférence et de la remise d’un prix, il se retrouve dans la chambre immense et aseptisée d’un hôtel international, et se penche sur son passé d’époux éternellement amoureux de sa femme depuis cinquante ans. Ils s’aimaient à chaque seconde et partageaient tout, notamment la passion de la littérature. Et le voilà à 23h 30 très exactement, comme en témoigne la pendulette près du lit… Tout est blanc, d’un blanc aveuglant, froid, chirurgical et funéraire contrastant brutalement avec le costume d’un noir absolu du personnage.
- Son épouse est morte il y a un certain temps, mais sa présence flotte dans la pièce, son visage regarde le veuf au travers d’un cadre et d’une photo installés sur un bureau. Le pauvre homme lui parle sur le ton de la confidence, lui rappelle les souvenirs heureux de leur vie commune parfois avec malice, ajoutant même quelques détails intimes et croustillants, une pointe d’humour parfois, et esquissant quelques entrechats chaloupés. Puis soudain, il ne résiste plus, il crie : « Tu es morte il y a un an et je n’ai plus envie de vivre ! ». De cachets en petites lignes de coke, de whiskies (au goulot) en cognacs, Jacques Weber va sombrer, en titubant un peu !
Points forts
- La beauté des sentiments : aimer pour l’éternité, c’est magnifique et c’est rendu ici tout aussi magnifiquement
- L’émotion, tant l’accablement joué sur scène est aussi accablant pour le spectateur. La tristesse est communicative.
- L’interprétation de Jacques Weber, criante de vérité. Quel mimétisme ! On est enclin à croire que Pascal Rambert a écrit cette “confession“ pour Weber lui-même, dans sa vraie vie. Ce qui n’est pas la réalité, bien sûr.
- Un texte fort, juste, sensible, qui va droit au cœur sans pathos
Quelques réserves
- Malheureusement, le spectateur va subir quelques longueurs : le texte s’égare ainsi pendant une longue séquence sur les conversations du brillant conférencier avec une traductrice chinoise rescapée de la Révolution culturelle, et qui a subi, du moins ses parents, quelques avanies de la part de “l’impératrice rouge“ (Madame Mao) et de ses sbires. Une longue polémique politico-sociale, capitalisme versus socialisme, prend place et retarde l’essentiel. Le temps s’écoule lentement. On en vient à jeter quelques coups d’œil furtifs à la pendule digitale.
- La mise en scène et le décor mi-chambre d’hôtel mi-cabine de paquebot, rejeté au fond de la scène occulte la diction pourtant parfaite, on le sait, de l’interprète. Au début, les mots s’échappent dans les cimaises des Bouffes du nord, nuisant à leur compréhension. C’est l’écueil à éviter dans ce théâtre plein de charme. Il faut choisir le premier rang si possible.
Encore un mot...
- La vieillesse est un naufrage, certes, plus encore lorsqu’il n’y a plus qu’une personne à bord. Même si rien n’est comparable, on ne peut s’empêcher de penser, en positif pour les deux formidables comédiens, à la performance de Jean Louis Trintignant dans Amour (de Michael Hanneke, avec Emmanuelle Riva), cet amour qui s’échappe…
- Notons également que Rambert et Weber sont très liés et que le premier a écrit Ranger, inspiré par le second auquel, il a voulu rendre hommage.
Une phrase
A propos d’une ravissante jeune femme placée en face de lui au dîner de gala donné en son honneur
« Or là, plus rien n’était possible, j’étais arrivé à la limite du possible, elle me regardait mais je n’existais pas pour elle. C’était la première fois que je sentais cela, j’étais donc vieux. Le un mètre vingt de la table qui séparait son faisan du mien avait la largeur d’un gouffre infranchissable qui s’appelle l’âge et plus rien n’y ferait désormais. J’étais devenu une chose invisible, un corps âgé sur lequel on pouvait au mieux porter un regard attendri comme on fait aux enfants, j’entrais dans ce monde où l’on n’est plus désiré. Je connaissais bien cela pour en avoir moi-même abusé étant plus jeune auprès de femmes plus âgées à qui je signifiais dans un regard mon indifférence, mon refus cruel car la jeunesse est cruelle de leur reconnaître encore un statut d’être sexuel. C’était désormais mon tour, elle regardait à travers moi avec son regard froid. »
L'auteur
- Né en 1962, Pascal Rambert est auteur, metteur en scène, réalisateur et chorégraphe. Sa pièce Clôture de l’amour, créée au Festival d’Avignon en 2011, a connu un succès mondial, adaptée en onze langues, elle a été jouée plus de 200 fois.
- De 2016 à 2017, il dirige le Théâtre de Gennevilliers. Il est aujourd’hui auteur associé au théâtre National de Strasbourg et au Piccolo Teatro de Milan. Il remporte de nombreux prix, notamment le prix annuel de littérature de l’Académie Française pour Répétition, pièce écrite pour Emmanuel Béart et Denis Podalydes, en 2015.
- Un an plus tard, il reçoit le prix du théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre. En 2017, il met en scène Une Vie, avec les comédiens de la Comédie Française. En 2021, il écrit et produit Deux Amis, avec Charles Berling et Stanislas Nordey.
- En 2023, il crée Ranger au Théâtre National de Bretagne. Entretemps, il s’est envolé pour le Japon (création de Kotatsu), le Mexique (mise en scène de Desaparecer), les Etats-Unis, avant d’atterrir aux Bouffes du Nord pour nous présenter cette pièce.
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