Philippe Fertray: "Pas d'souci?"
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Thème
Philippe Fertray a décidé de traquer ce langage contemporain que nos ados viennent d'inventer et qui a été repris avec enthousiasme par les adultes : il se bat contre "les abus textuels", les expressions toutes faites qui ne veulent absolument rien dire, utilisées n'importe quand et surtout à mauvais escient : "j'te dis ça, j'te dis rien", "pas d'souci" ou "voilà" que l'on sort tous les trois mots et qui ponctuent toutes les fins de phrase.
Le comédien pourchasse également les mots grandiloquents que les parleurs mettent bout-à-bout, en file indienne, et qui sont incompréhensibles. Philippe Fertray expédie en touche certaines catégories socio-professionnelles coutumières du fait, avec un humour décapant et un à-propos fabuleux.
Points forts
- ce spectacle est jubilatoire : on oscille en permanence entre Pierre Dac, Pierre Desproges et Albert Dupontel, trois modèles dont l'humour à haut débit et l'univers déjanté ne sont plus à démontrer. L'ensemble décortique les travers du langage actuel avec un esprit critique d'une drôlerie infinie
- Philippe Fertray cible plus particulièrement quelques catégories de personnes qui usent et abusent de ces propos oiseux, dont les animateurs de la télévision qui en prennent pour leur grade, sur "les chaînes d'information à la chaîne", avec leur énoncé des catastrophes dont toutes les phrases se terminent par "voilà" et "euh"; les commentateurs sportifs avec le fameux "Jean-Jean-Christian-Pierre-Pierre"; les chroniqueurs de fin de soirée, dont la renommée "Tristine Angoisse", nous infligeant des commentaires ubuesques
- cerise sur le gâteau pour les vedettes de cinémas interviewées : la parodie d'une actrice d'une misérable nullité qui prend des poses inspirées, à la Adjani, pour dire d'une voix grave, après un long silence, "c'est moi, voilà".. est à pleurer de rire
- on croise un grand nombre de personnages, tous croqués avec beaucoup de justesse et interprétés avec une gaieté et une énergie entraînantes
- l'auteur a tout de même des fulgurances : une cuisine toute équipée mexicaine se réduit finalement à un mug décoré précolombien...
- un autre grand moment de ce spectacle : l'explication de l'origine du yin et du yang, vu sous le prisme Fertray, vaut son pesant de lingots
- la mise en scène est très réussie, notamment lors de l'épisode chinois, avec les ombrelles et les étoiles dans la salle; épisode au cours duquel le comédien danse avec souplesse et joliesse
Quelques réserves
Je ne m'explique pas pourquoi, pour ce spectacle de grande qualité, la salle n'est pas pleine à craquer...
Encore un mot...
Ce spectacle inédit, extrêmement dynamique et hilarant, est plein d'invention. Philippe Fertray fait preuve d'une énergie d'enfer et nous propose un moment rare en chassant avec férocité ces expressions qui collent aux d'jeuns comme le sparadrap du capitaine Haddock. En outre, ce comédien nous gratifie d'une diction parfaite lorsqu'il se lance dans une de ces logorrhées abracadabrantesques dont se gargarisent ceux qui veulent passer pour des intellectuels.
Remarquablement à l'aise sur scène, cet auteur nous offre, en quelques instants trop courts, un programme au texte ciselé, intelligent, à l'esprit alerte et formidablement humoristique. Ce spectacle est, à très juste titre, éligible aux Molières 2019.
L'auteur
Dès 2011, Philippe Fertray s'est essayé à lancer quelques sketches sur son mobile, qu'il s'évertue à appeler son "téléphone photoportatif". Devant le succès que rencontraient ses inventions farfelues, il crée en 2015 un spectacle sous son pseudo, Al Zimmer, épinglant un monde décalé, et se moquant de ses contemporains avec un grand sens de l'absurde.
En 2016, il obtient le "Coup de coeur des P'tits Molière".
Son spectacle "Pas d'souci ?" a été joué au Festival Off d'Avignon en 2017, au Théâtre de la Tache d'Encre.
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