Molière-Matériau(x)
Plus qu’une leçon de théâtre
De
Pierre Louis-Calixte
Mise en scène
Pierre Louis-Calixte
Avec
Pierre Louis-Calixte
Notre recommandation
5/5
Infos & réservation
Studio Théâtre (Comédie Française)
Place de la Pyramide inversée (99 rue de Rivoli)
75001
Paris
01 44 58 15 15
Jusqu’au 11 juin. Du mercredi au dimanche à 20h30
26 juillet à Saint-Tropez (festival Les Nuits du château de la Moutte)
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Thème
- 1622-1673, 51 années : la vie de Molière, le temps d’une vie d’homme de théâtre au XVIIe siècle, que Pierre Louis-Calixte convoque pour nous parler de la sienne en miroir, et méditer sobrement sur ce que le théâtre fait à la vie et la vie au théâtre.
- Le plateau est sombre, éclairé chichement par une petite lampe de bureau ; ici, une liseuse, ensuite un néon sur un portant. La scène est encombrée de livres, éditions anciennes et nouvelles de biographies et de textes des pièces et, côté cour, des costumes de scène étiquetés ont l’air de fantômes.
- Le comédien prévient avec simplicité « Je t’appellerai Jean-Baptiste », comme un gage de proximité. Puis il évoque Mnouchkhine, Caubère, Vitez bien sûr, les biographes de Molière et aussi ses grands-pères à lui, la canne de l’un, le lit de mort de l’autre, son enfance et sa rencontre avec Molière. Il note au passage qu’il « y a si peu de mères » dans les pièces de Molière, qui perdit la sienne à 10 ans. On croise aussi Alfred de Musset, commentant la représentation d’une pièce de Molière qu’il vient de voir à la Comédie-Française, Jean-Luc Lagarce, metteur en scène du Malade imaginaire, et qui offrit à Pierre Louis-Calixte le rôle de Louis dans Juste la fin du monde montée Salle Richelieu.
- En une heure et vingt minutes, on a comme embrassé le temps et le chaos d’une vie.
Points forts
- Le tressage entre les deux existences est si parfaitement pesé et réussi qu’il retentit en chacun de nous. Aussi bien dans l’illusion qu’il y aurait à vouloir livrer un récit vrai de soi, le danger et la séduction des faux semblants, mais aussi la protection que les mots des autres ont offert et offrent toujours à l’enfant que fut Pierre Louis-Calixte et aux enfants que nous spectateur demeurons, puisque nous acceptons le pacte de la fiction vraie, qu’avec ce qui se produit dans le fait d’être ensemble, silencieux, à la pêche ou au théâtre et de partager ce temps pour soi.
- La maladie, celle de la mémoire comme celle du corps qui anéantit ou épargne mais toujours éprouve, et la mort. Celle de Molière, emporté par la tuberculose dans sa 52e année, alors qu’« aucun médecin ne viendra à son chevet », celle des absents définitifs et néanmoins toujours « représentables », tout ceci compose une fresque bouleversante.
- Cette mélancolie est pourtant joyeuse - on sourit souvent - comme illuminée par la foi qu’a l’auteur dans la magie des mots lorsqu’ils habitent et animent le corps des comédiens pour faire ressurgir les absents.
- La mise en scène au millimètre et sans facticité aucune baigne dans une belle lumière invitant au recueillement.
Quelques réserves
- Les ruptures de ton entre celui de la confidence et les tirades des pièces.
- La précipitation, qu’on peut juger un peu outrée lorsqu’il s’agit de fondre sur un livre pour en livrer un extrait, et qui pourrait passer pour une sorte d’affectation.
Encore un mot...
- Si ce voyage dans la mémoire livre comme un sérum très concentré et pourtant sans pesanteur de ce qu’est le théâtre, il embrasse bien au-delà, le territoire de l’existence humaine. Molière-matériau(x) est la chronique intime d’une construction éclairée par la présence intermittente de Molière : de l’enfant au comédien puis au sociétaire, Pierre-Louis Calixte nous parle de lui.
- Et si l’on ne mesure pas exactement à quel point la rencontre de Molière a changé sa vie, et à quel degré cette vie semée d’accidents a imprimé sa marque à son jeu, parce que l’homme est pudique, ce que l’on éprouve, ce que l’on retient c’est la porosité organique qui existe entre le faux semblant du théâtre (ce que “tricher“ veut dire…) et la trame de l’existence, les correspondances subtiles et moins subtiles entre les deux qui s’offrent à l’observateur attentif.
- Interroger la trace de Molière dans un parcours de vie et de comédien est comme une invitation à méditer sur ce que ce génial dramaturge a produit et laissé en chacun de nous et avec lui toutes les fictions sur nous-mêmes et les autres que nous avons construites, que nous avons croisées et qui ont résonné en nous.
Une phrase
« De nos vies nous sommes à la fois les acteurs et les chroniqueurs. »
Argan : « N’y a -t-il pas quelque danger à contrefaire le mort ? » (Le Malade imaginaire).
L'auteur
- Formé à l’École-Théâtre de La Belle de Mai, Pierre Louis-Calixte débute dans la Compagnie Carcara où il joue, notamment, Louis Calaferte et Heiner Müller. Il tient le rôle-titre dans Macbeth de Shakespeare par Sylvain Maurice au Festival d’Avignon 2001 Engagé à la Comédie-Française en 2006, il est nommé sociétaire en 2013. Il y joue de nombreux classiques, dont le Tartuffe de Molière pour Marcel Bozonnet.
- Calixte a présenté deux seuls-en-scène au Studio-Théâtre : en 2017, Le Bruiteur de Christine Montalbetti, et Molière-matériau(x) dont il est aussi l’auteur. C’est son unique ouvrage à ce jour.
- Ce spectacle, créé le 6 avril 2022 au Studio-Théâtre, est repris depuis le 24 mai 2023.
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