Manon Kneusé: Plus grand que moi, solo anatomique
Infos & réservation
Thème
Sur une scène presque vide, Cassandre Archambault née le 13 mars 1986, ainsi qu'elle se présente avec insistance, pédale furieusement sur un vélo fixe, récite l'alphabet grec, mime une sorte de harakiri destiné à exposer ses huit mètres d'intestins, se lave, danse le sirtaki, tente de dialoguer avec Zeus ou Apollon, à moins qu'il ne s'agisse de son père, prend les mesures de son corps (1m 03 de doigts au total, 24,5 cm de pied et de largeur de front, un triangle équilatéral parfait au centre de son corps), se déshabille, puis se rhabille avec une pudeur malicieuse en laissant dériver ses réflexions à la fois très narcissiques (la rencontre de ses parents qui ne sont pas Priam et Hécube les souverains de la Troie antique de l'Illiade, ses rêves, son amoureux, le constat que « tout est plus grand » qu'elle) et très concernées par l'ordre du monde. Elle souhaite que « l'espèce humaine arrête de se suicider et de tout dégueulasser », qu'elle ait un projet, « un vrai projet : arrêter de déconner » et achève son solo par une interrogation : comment agir ? « je me sens en plein état d'urgence ».
Points forts
- Le sens de la performance, revendiqué par l'auteure qui voulait « un truc épatant » qui conduit la jeune interprète à toutes sortes de prouesses physiques cependant familières et pour certaines presque enfantines : elle pédale, danse, tend la jambe le pied dans la main, dans une posture parfaite, touche son nez avec sa langue, se soulève à la force des bras assise en tailleur. Rien de tout cela n'est gratuit ou vain, tout est drôle, tonique et réjouissant.
- La qualité d'un texte à la fois dense et léger, infiniment sérieux et pourtant pétillant qui, via le soliloque déjanté d'une Cassandre que nul n'est censé croire, nous parle des désordres du monde, des incohérences de chacun d'entre nous entre désir de solidarité et consumérisme. Il est aussi question d'histoire puisqu'elle remonte aux années de sa conception qu'elle identifie comme le début du glissement vers la catastrophe, méditant donc sur la notion d'époque et rappelant l'urgence qu'il y a à agir et l'impossibilité de choisir sa cause puisqu' »il n'y a plus que ça des priorités. »
- Le rythme et l'énergie gracieuse et juvénile que Manon Kneusé, formidable Cassandre, impulse à la pièce. De la Troie de Priam au Paris d'aujourd'hui, en passant par la Méditerranée où meurent les migrants, New York et l'Afrique, « typique et unique », elle fait vivre excellemment un texte qui sonne sur tous les tons et avec toutes les nuances. Elle est elle-même et rien que cela et pourtant tous les hommes et les femmes en même temps, et sait convaincre le public de cette réalité.
Quelques réserves
Si on accepte la complicité à laquelle nous invite Cassandre, il n'y en a guère. Ce spectacle est une danse qu'elle mène allègrement et à voix pleine et qui emporte les spectateurs; ce dont ils ont éloquemment témoigné au moment du salut.
Encore un mot...
Comment dire l'essentiel, créer de la poésie et faire spectacle sans pesanteur et sans sensationnel ? Comment intégrer l'histoire la plus explicite en même temps que le mythe et le discours de soi sans pédanterie ?
C'est une belle démonstration de la richesse du théâtre vivant que nous livrent Nathalie Fillion et Manon Kneusé avec ce voyage en chambre, entre Queneau, Perec et Beckett. Leur complicité est sensible dans cette révolte ludique, cette interrogation anxieuse mais sans crispation portée par une incroyable fantaisie. Allez-y c'est un spectacle réjouissant et salubre. Qui devrait être remboursé par la sécurité sociale et l'Ademe réunis.
Une phrase
Ou plutôt cinq:
« Je voudrais bien changer le monde mais je sais pas par où commencer. »
« Chaos, chaos chaos, le chaos ne me mettra pas KO ! »
« J'ai des chromosomes de fille, mais j'ai pas envie qu'on me fasse chier. Je vais m'organiser. »
« J'ai 1m 03 de doigts et je ne veux pas vivre à quatre pattes. »
« Cette nuit j'ai décidé de pleurer tout ce qui a disparu depuis que je suis née. »
L'auteur
« Femme de théâtre » comme elle aime à le dire, Nathalie Fillion met en scène ses propres pièces depuis 2004. Elle a collaboré avec la Comédie française et est l'auteure d'un livret, Lady Godiva, Opéra pour un flipper, joué à l'Opéra Bastille en 2005. C'est avec A l'Ouest, texte publié en 2011 et monté en 2012, qu'elle se fait connaitre du grand public. A partir de l'évocation de la crise financière, cette pièce, présentait à la société occidentale un miroir ironique.
Plus grand que moi a été présentée en Off à Avignon en juillet 2018 et salué par une partie de la critique.
Ajouter un commentaire