L’USAGE DU MONDE

Un voyage initiatique comme on en fait plus - Cœur et fraternité
De
Nicolas Bouvier
Mise en scène
Catherine Schaub
Avec
Samuel Labarthe
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Théâtre de Poche
75 Bd du Montparnasse
75006
Paris
01 45 44 50 21
Du 5 septembre au 17 novembre 2024. Du mardi au samedi à 19h – dimanche à 15h

Thème

  • L’excellent Samuel Labarthe nous raconte sur scène les tribulations d’un voyage hors du temps effectué et écrit par  Nicolas Bouvier quand il avait 23 ans, accompagné de Thierry Vernet, son alter ego. 

  • Bouvier tient la plume et l’objectif, Vernet manie les crayons et le pinceau, illustrant les étapes du périple. Brinqueballés dans une vieille Fiat Topolino, avec trois mois d’économies en poche, les deux amis arpenteront les chemins qui mènent à Kaboul pendant un an et demi, traversant d’abord les Balkans, la Turquie, puis l’Iran et l’Afghanistan. 

  • Nicolas Bouvier poursuivra seul ce voyage initiatique au travers de l’Inde jusqu’aux frontières de la Chine, qui ne le laissera pas entrer (ce qui fera l’objet d’un autre récit).               

Points forts

  • Un dépaysement total. C’est l’art du voyage tel qu’on l’a rêvé, à défaut de l’avoir vécu. Heureux qui, comme Nicolas Bouvier, n’a pas connu et ne connaîtra jamais les voyages de masse de notre époque, les hordes de touristes qui, à peine expulsés de leurs avions avec armes et bagages, se jettent  leur ti- punch et se disputent une nourriture standardisée                                                                                      • Du bon usage du voyage. Nicolas Bouvier et son compère Thierry prennent  la route littéralement,  mais pour quel objectif ? C’est justement la route elle-même, avec ses surprises, ses aléas, les rencontres qu’elle suscite au fil des étapes improvisées. « Ce n’est pas vous qui faites la route,  c’est la route qui vous fait. » Ici, tout s’échange, tout se partage, l’amitié, le pain azyme, la musique omniprésente. Ce qui fait la richesse et la rareté de ce récit, c’est le rapport au monde, le rapport à un autre monde. Cette rupture est illustrée particulièrement avant l’arrivée en Afghanistan, aux avant-postes des frontières. Le ton serein du narrateur évolue, la tension est perceptible, le style est resserré, les gens d’armes posent des questions insidieuses, mine de rien : « Les mots se font rare mais l’opium grésille » et soudain une Cadillac impérieuse klaxonne.  Un gouverneur qui prend son poste à Bam ou à Kerman ou bien un vieil « arbab » et ses épouses en tchador en chemin pour l’hôpital ? Le désert Baloutch est insondable.  Inch Allah !

  • La magie du langage. Chaque mot, chaque phrase, à chaque étape du voyage, sont  une invite à la poésie, à  une poésie du quotidien où l’homme inlassablement, tel Sisyphe, tisse sa toile du bonheur de vivre, tout simplement et de partager. Ici, par exemple, nous sommes à la barrière de Quetta, à la frontière Afghanistan /Pakistan, au sommet d’une côte de sable gigantesque. Le comble du bonheur au pays des Baloutchs (mot qui signifie malchance !), c’est se faire bénir, guérir, conseiller par le mollah. Ce jour- là, « Une queue de fidèles endimanchés attendait des heures d’affilée pour lui baiser les mains […]  Il y a peu de misère ici et beaucoup de la frugalité qui rend la vie plus fine et plus légère que cendre ». Pour finir, poursuivant L’usage du monde, passez donc au Saki bar en souvenir de nos deux amis, « C’est le Paradis » ! Economie de mots, émotion maximale !                             

  • Enfin et ce n’est pas rien, le charme du récitant. Son naturel, son empathie, avec un brin de désinvolture, et l’implication de Samuel  Labarthe nous accompagnent avec bonheur tout au long de cet “Usage du monde“ de l’Asie musulmane. On ne sera pas surpris.

Quelques réserves

  • On l’aura compris, L’usage du monde n’est pas un guide touristique. Reste que l’on risque de se perdre à la croisée des chemins car on nous montre des cartes à l’ancienne, style Thierry Vernet. C’est plein de charme, mais peu précis. On souhaiterait peut-être aussi suivre de temps en temps un itinéraire à l’aide d’une carte de géographie classique, du genre Belin 1950, histoire de ne pas confondre le Baloutchistan (Pakistan) avec le Badakhshan (Afghanistan).

Encore un mot...

  • Dix ans après la première édition, l’œuvre de Nicolas Bouvier a fini par rencontrer ses adeptes (le premier récit imprimé à compte d’auteur intitulé Khyber Pass) jusqu’à devenir un best-se

  • ller.Aujourd’hui encore, les critiques et amateurs de carnets de voyage parlent à son sujet de chef d’œuvre de la littérature de voyage. 

  • A cette occasion, il serait sans doute intéressant de relire certains ouvrages de Jack London, de Kerouac (Sur la route), sans parler d’Henry de Monfreid ou de Rimbaud à Aden (puisqu’on parle de poésie), voire de Pierre Loti.

Une phrase

  • « Chiraz est pourtant une ville douce où l’art de vivre touche même la police mais il n’y a pas de jour dans ce pays où l’on ne tombe sur un de ces spectacles révoltants d’injustice et en même temps émouvants par leur qualité, par ce quelque chose de quintessentiel, de lentement distillé, de sagace,  qu’est la Perse. Malgré la misère des uns et la turpitude des autres, c’est encore la nation du monde où l’esprit de finesse se manifeste avec le plus de constance. »

  • [alors que Nicolas et Thierry font une pause en attendant 5 ou 6 visas] : « Autour de nous, la ville disposait largement le peu dont elle est faite, des pans d’ombre fraîche, des attelages de buffles gris, quelques portails de style victorien flanqués de guérites et de canons de bronze et des ruelles sableuses, des vieillards enturbannés de grande prestance flottaient sur de beaux vélos graissés et silencieux ». Où dorment nos voyageurs ? Dans un petit hôtel  blanchi à la chaux « biscornu comme un gâteau de mariés », construit autour d’un mûrier centenaire ! Les vieux  Baloutchs sont bons enfants. A l’écoute d’une petite histoire, ils se tordent de rire à en tomber de leur Raleigh. Bouvier conclut : ce sont de « bons musulmans sunnites.»

L'auteur

  • Nicolas  Bouvier est un écrivain et photographe suisse, né à Genève en 1929, mort prématurément de de  maladie à 60 ans. Ce poète dans l’âme a vécu toute sa vie par et pour les voyages.  Ce périple a été effectué avec son  ami Thierry Vernet qui va illustrer, jour après jour, les rencontres, les découvertes, les émotions des deux complices. 

  • En résulte un manuscrit  d’abord publié à compte d’auteur grâce à la dotation modeste d’un premier prix. Tiré d’abord à 2 000 exemplaires, progressivement il deviendra un best-seller et fera même l’objet de thèse pour les étudiants en agrégation de Lettres en 1998 ! Son récit a reçu de nombreux prix, dont l’un connu par les lecteurs amoureux d’épopées oniriques, il s’agit du festival des “Etonnants Voyageurs“ de Saint-Malo, qui décerne chaque année son prix Nicolas Bouvier ; il y a même dans la cité malouine une rue Nicolas Bouvier, de même qu’aux Sables d’Olonne. 

  • La presse et les spécialistes, quand ils parlent de ce livre, lui confèrent volontiers la qualité de chef-d’œuvre. Autres ouvrages marquants : Le Hibou et la Baleine (1993), Le Poisson Scorpion (Gallimard, 1982), Chronique japonaise (Payot, 1986)Les chemins de Halla-San (éditions Zoé, Genève 1994). Ouvert à tous les vents et totalement désintéressé, Bouvier reconnaitra: « Je suis couvert de dettes littéraires. »

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