Il n’y a pas de Ajar
Un vibrant manifeste contre l’identité, pour le droit à être « aussi » …
De
Delphine Horvilleur
Mise en scène
Johanna Nizard et Arnaud Aldigé
Avec
Johanna Nizard
Notre recommandation
4/5
Infos & réservation
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018
Paris
01 46 06 49 24
Du 1er septembre au 1er octobre, vendredi et samedi à 20h, dimanche à 16h
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Thème
- Il n’y a pas de Ajar est un fervent plaidoyer contre l’identité. Il met en scène un personnage fictif, fils d’un pseudo, Emile Ajar, créé par Romain Gary, ce que tout le monde ignorait.
- Ce personnage vit dans une cave située au sous-sol de l’immeuble de Madame Rosa (le personnage principal du roman d’Ajar, La vie devant soi), et dans laquelle il a trouvé refuge, et qu’il appelle son « trou juif. »
- Ce personnage indéfinissable - dont je vous laisse faire la découverte sans rien divulguer - nous annonce qu’Emile Ajar n’est pas tout à fait mort, puisqu’il est, lui, Abraham Ajar, le fils d’un père fictif, l’enfant d’un livre.
- Durant tout le spectacle, il nous invite à faire ce pas de géant vers l’autre, cet étranger qui sommeille en nous.
Points forts
- En entrechoquant la Bible et les mots de son père Gary / Ajar, le personnage s’évertue à créer un écho puissant sur le monde d’aujourd’hui, un questionnement indispensable sur notre propre identité : considérer que nous sommes autre chose que ce que nous pensons être, réaliser ce devenir en nous, que nous portons à chaque seconde, et auquel nous aspirons …
- Il nous explique le piège de l’identité, qui nous enferme dans une unicité restrictive, alors que nous sommes aussi les fragments de ces autres que nous portons en nous. Cet « aussi » est une formidable porte vers la reconnaissance de ce qui nous rapproche de nos semblables, alors qu’une identité restrictive - à laquelle beaucoup aspirent - nous en éloigne.
- Ce texte magnifique nous parle aujourd’hui de politique et de religion, de la force des mots et de la littérature, de la vulnérabilité de nos narcissismes.
- Il est porté par une comédienne extraordinaire, Johanna Nizard – qui co-met en scène le spectacle et le porte, seule, de bout en bout. Sa présence et sa prestation sont époustouflantes. Elle expérimente devant nous la perte de sa propre identité, en « engendrant un corps, des visages, une voix nouvelle, pour échapper à la fixation. Je veux sortir de la claustrophobie de a propre image afin d’entrer en relation avec l’autre. »
Quelques réserves
- Ces transformations amènent le personnage à un impressionnant travail sur le corps, les attitudes, l’habillement et la voix. Sur ce dernier point – et c’est un avis très personnel car la représentation s’est conclue par une standing ovation méritée – le choix d’être perpétuellement dans une forme de démesure outrée en poussant à son paroxysme le langage avec ses tics et ses exagérations peut agacer et desservir le discours plus qu’il ne le renforce.
Encore un mot...
- A l’issue du spectacle, un “bord de scène“ a réuni l’auteure (Delphine Horvilleur), le metteur en scène Arnaud Aldigé, la comédienne Johanna Nizard et le conseiller dramaturgique Stéphane Habib. Pendant près d’une heure d’échange avec le public – pratiquement tous les spectateurs étaient restés – ils ont expliqué leur démarche à tous les stades de la création de la pièce.
- Ils sont revenus sur le caractère morbide de l’identité lorsqu’elle convainc quelqu’un « qu’il n’est que ce qu’il croit qu’il est », que nous sommes assignés à résidence, que nous ne sommes que notre héritage. On devrait être capable, même en ces temps d’obsession, de s’envisager autrement. Nous sommes esclaves de définitions figées et finies de nous-mêmes, de nos origines, de nos ancrages, de nos assignations ethniques ou religieuses.
Une phrase
La pièce commence ainsi :
« Le 12 décembre 1980, Romain Gary, en se tirant une balle dans la gorge, aura par ce geste, supprimé Emile Ajar, “le plus grand caméléon de tous les temps“. Le premier suicide collectif littéraire sans consentement, un deux-en-un, secret qui marquera l’histoire de la littérature à jamais. »
L'auteur
- Delphine Horvilleur, née en 1974, entreprit des études de médecine puis étudia le journaliste au CELSA.
- Elle intègre le séminaire rabbinique du mouvement réformé Hebrew Union College, reçoit son ordination en 2008 et devient rabbin du Mouvement juif libéral de France.
- En 2009, elle devient rédactrice en chef de la revue Tenou’a, dont elle fait un magazine de référence de la pensée juive libérale en France
- Elle l’autrice de nombreux livres, dont, Vivre avec nos morts
- Elle est également l’une des Femmes puissantes du livre de Léa Salamé.
Commentaires
Je ferme le petit livre de D. Horvilleur à une aube normande face au séquoia de mon jardin qui doit avoir au moins 300 ans. Il est séquoia soumis aux époques et à nos présences, la preuve des existences augmentées des unes aux autres. Cet ouvrage laisse vagabonder la pensée sur l’impermanence de nos paroles construites en fausse altérité. De la cave le fils d’Ajar chante la marseillaise, évasion purement imaginaire.
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