A ma sœur et unique
Parution Juillet 2023
467 pages
24 €
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Thème
Nous découvrons Friedrich Nietzsche perdant la raison ; il s’écroule après avoir parlé à un cheval malmené par son propriétaire. Il est alors interné en psychiatrie par son ami Franz Overbeck.
Retour en arrière. Friedrich Nietzsche a 6 ans, il donne la main à sa sœur Elizabeth 4 ans pendant l’enterrement de leur petit frère. Seul « homme » (le père est mort fou) avec mère, tantes, grands-mères et la petite sœur. Nous sommes dans une famille protestante, étriquée. Destiné à être pasteur selon la tradition familiale, l’enfant est artiste, il écrit des poèmes, compose de la musique pour sa mère, sa sœur. Il mène une vie pieuse et académique.
Il part poursuivre des études à l’université et ne veut plus être pasteur. Nietzsche a découvert les Grecs, Schopenhauer, Carmen et Lou-Andreas Salomé, se créant une nouvelle famille ; il commence à écrire, connaît un certain succès et est nommé Professeur Extraordinaire à 25 ans. Le voici envoyé à Bâle en Suisse.
Elizabeth le rejoint car il souffre de violents maux de tête ; il l’appelle « Lama » ; elle devient sa muse et ils vivent comme un couple ; elle sert de femme de ménage !
Avec Guy Boley, nous parcourons ainsi la relation entre Nietzsche et sa sœur.
Points forts
L’auteur tente de rétablir la vérité sur Friedrich Nietzsche.
- Génie précoce, philosophe, penseur et musicien, il souffre de violentes douleurs ophtalmiques. Il écrit tandis que sa sœur semble renoncer à toute vie personnelle pour s’occuper de son frère malgré le fossé intellectuel qui les sépare.
- La rencontre avec Richard Wagner, le musicien intéressé par cet esprit brillant. Une amitié se noue entre les deux hommes avant que Louis II de Bavière n’assume la protection. Mais Friedrich aime surtout, lire, écrire et la solitude .
- Elizabeth, éblouie par la richesse du luxe wagnérien, entretient une relation avec le couple Wagner. Elle en adopte les idées antisémites. Elle se marie alors avec un antisémite « forcené » ; Elizabeth a une telle envie de briller et de richesses qu’elle part avec son mari au Paraguay (là où il y a peu de juifs !) afin de fonder un empire « désenjuivé ». L’histoire se termine mal, le mari se suicide. Et voilà Elizabeth de retour en Allemagne.
- Sorti de l’asile, Nietzsche a été ramené chez lui par sa mère. Elizabeth réalise vite tout le potentiel dans les écrits de son frère.
Quelques réserves
Un style surprenant, voire grandiloquent. Des phrases longues, empêchant parfois plus de précisions. Des longueurs également dans le récit avec de nombreuses citations débordant à mon avis du cadre d’un roman.
Encore un mot...
Une biographie originale entre le récit romancé et le conte. Cela permet de déconstruire la mauvaise réputation de Nietzsche aux pensées personnelles maintenant reconnues alors qu’il fut considéré à travers le prisme laissé par sa sœur. L’auteur nous livre une description intéressante de ce penseur souffreteux , opposant sa faiblesse physique à ses capacités philosophiques et philologiques de conception et d’écriture.
Le portrait d’Elizabeth est terrible ; d’une sœur dévouée, elle devient une mégère autoritaire, possessive, bigote, raciste et vénale. Elle se vengera de cet esprit libre en le ramenant à cet état d’enfant chétif et souffreteux lors de la fin de vie de son frère, en éloignant sa mère et l’ami fidèle Franz Overbeck. Bien que son frère eût écrit à propos d’elle, « stupide dinde, vindicative et antisémite », elle se rend compte rapidement de la valeur de la pensée et des écrits de son frère. Prête à tout pour assouvir sa soif de richesses, sa « position sociale », même prête à trahir les écrits de son frère. Elle récupère les divers écrits, les ré-écrits, en écrit elle-même en les signant du nom de son frère, gérant ainsi l’œuvre de Nietzsche . Elle voudra toujours plus d’argent car elle mène grand train de vie. En ces temps troublés des années 1930, elle “se vendra” à Hitler, confortant ce dernier dans son antisémitisme et son fascisme, en faisant de Friedrich Nietzche un antisémite et un fasciste.
Guy Boley réhabilite le philosophe dans ce roman fleuve de 468 pages.
Une phrase
- « Depuis qu’elle est en âge de téter, comme tout grand frère, Friedrich se plaît à s’occuper de sa petite sœur. Il la cajole, la console et l’enjôle. Mon Dieu quel joli mot que ce verbe enjôler, il sent le caramel, le câlin sur les joues, le baiser de Judas et le chocolat chaud. Il fleure l’enfance, le talc, le piège à rats et le bagou du loup envers le chaperon. Car il l’enjôle, sa sœur, la fait monter, descendre, dans le manège forain de sa volonté. […] Il est pour elle - après Dieu - celui qu’elle vénérera le plus au monde et dont elle hissera l’étendard ambigu, l’amour-passion jusqu’au sommet de la trahison ». p. 125
- « Elle veut tout savoir, tout avoir de cette vie dans laquelle elle ne fut qu’absence. Face aux récalcitrants qui semblent déceler dans son trop-plein d’amour quelque excès de rouerie, plutôt que de guerroyer, elle minaude, les flatte, les amollit, les prend dans ses bras et dévore leur être. Puis, une fois asservis, elle leur vole sans vergogne tous les biens de son frère qu’ils pourraient posséder. Elle n’a aucun scrupule, aucun remords, aucun état d’âme ; elle va droit son chemin de labour, elle a bien retenu les leçons de Wagner : “Le monde me doit ce dont j’ai besoin”. » p.405
L'auteur
Guy Boley a fait mille métiers avant de devenir un dramaturge dont les spectacles sont joués en Europe, en Afrique et aux Etats-Unis. Il a publié chez Grasset Fils du feu en 2016, Quand Dieu boxait en amateur en 2018, Funambule majuscule - Lettre à Pierre Michon suivie de Réponse de Pierre Michon en 2021.
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