Les Assassins d'Alamût

Un regard neuf sur les dessous méconnus de cet Ordre ismaélien décrié
De
Yves Bomati
Armand Colin
septembre 2024
286 pages
23.90 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Alamut  (qui signifie Nid d'aigle) est une forteresse en Perse où un jeune et brillant iranien, Hasan Sabbah fonda, au XIIè siècle, une "secte" issue du chiisme dont les membres furent appelés "'Assassins" (ou Hachischins). Leur histoire se déroule dans un Moyen-Orient dominé par les pouvoirs musulmans sunnites, au temps des Turcs Seldjoukides, des Croisés européens, et pour finir, des Mongols qui contribueront à la chute d'Alamut en 1256.  

L'auteur explique d'abord d'où vient leur mauvaise réputation : de Marco Polo -qui ne séjourna en Perse en 1293 que quelques mois- qui les évoque dans Le Livre des Merveilles bien après les événements : la légende noire est née et sera reprise, au fil des siècles, par nombre d'auteurs occidentaux  et orientaux, y compris musulmans. Il consacre un premier chapitre à rappeler le contexte historique et religieux de l'Iran après le traumatisme de l'invasion arabe, puis revient sur les schismes, celui entre sunnites et chiites puis celui de l'ismaélisme et en particulier des Nizârites. Il trace le portrait et les premiers engagements d' Hasan Sabbah, né en perse en 1052 ou 53 à Qom, devenu le grand Maître des Assassins qui choisit Alamût, lieu montagneux inexpugnable, pour regrouper ses fidèles, les Fidâwis qu'il dirigea d'une main de fer durant 35 ans.

Il explique en quoi consistait la "nouvelle prédication" de l'ismaélisme nizârite.  En Iran et en Syrie, pendant plus de deux siècles, les adeptes pratiqueront l'assassinat politique ciblé, se dissimulant dans l'entourage des personnalités à abattre. La troisième partie de l'ouvrage est consacrée aux héritiers d'Hasan Sabbah, dont Sinân, surnommé "Le Vieux de la Montagne", leurs  relations avec les Francs à l'époque de Royaume Latin de Jérusalem et le rôle décisif de Saladin. La conclusion permet de s'interroger sur le terrorisme, celui de l'époque et celui d'aujourd'hui, ainsi que sur  la survie de l'ismaélisme contemporain.

Points forts

L'un des principaux intérêts de ce livre est de faire découvrir ce qu'est le chiisme ismaélien et qui furent les Nizârites en Perse et en Syrie, à la fois dans leur histoire et dans leur foi. On est d'ailleurs en droit de supposer que peu de gens, hormis quelques Iraniens, savent situer ce courant de l'islam pour lequel -on le sent à la lecture- l'auteur éprouve une compréhension proche de la sympathie.  Car ce courant religieux prône un islam plus ouvert, autorisant une interprétation et une relecture des textes du Coran, ce qui permet une évolution interdite par le sunnisme. 

On trouve également un vif intérêt à relire une partie de l'histoire des Croisades, de la première dite "des Barons" en 1097 et des sept autres suivantes (la huitième ayant été fatale à St Louis), du comportement des "Rois de Jérusalem" , du rôle des Ordres hospitaliers, et du sort de plusieurs cités conquises (Edesse, Alep, Antioche...) 

On apprécie que l'auteur démêle l'Histoire de la légende, bien qu'il rappelle que celle-ci fut colportée par de nombreux auteurs. 

Comme tout livre d'histoire sérieux, celui-ci offre de nombreuses notes explicatives, un glossaire reprenant les principaux termes à connaître, une chronologie des grandes puissances au Moyen Orient entre le Xe et le XIIIe siècle et une chronologie générale, une bibliographie détaillée distinguant les sources premières anciennes et les sources secondaires plus récentes. Au final, un index propose les noms des principaux personnages et un autre celui des lieux évoqués. Tout cet appareil critique bien utile ne comporte pas moins de 80 pages. 

Quelques réserves

Inutile de chercher à retenir les noms des protagonistes  ni celui des complots, des assassinats ni même celui des lieux et des régions concernées par les batailles (malgré quelques cartes bienvenues)...  Toute cette histoire se situe dans  un Moyen Orient  "chaudron bouillonnant" (déjà à l'époque et encore aujourd'hui). La période est compliquée... nul n'en disconviendra, ce qui n'empêche pas de s'essayer à mieux la comprendre. 

Pour ma part, je regrette que le Sac de Constantinople par les Croisés, en 1204, lors de la quatrième croisade, n'ait mérité que quelques brèves lignes (p. 166) alors qu'un paragraphe plus détaillé aurait rappelé aux lecteurs ce que fut cet énorme scandale où des chrétiens s'attaquèrent à d'autres chrétiens en pillant la cité byzantine et en massacrant sa population.  

Encore un mot...

Un livre utile pour appréhender avec plus de justesse une "communauté ismaélienne nizârite" dont l'héritier actuel n'est autre que l'Aga Khan, auquel le mot "assassin" ne saurait être appliqué tant ses actions caritatives sont notoires, comme le rappelle l'auteur. Les Ismaéliens sont actuellement estimés à 15 millions de personnes réparties dans plusieurs pays. 

Le livre est sous-titré :  "Les dessous d'une politique de la terreur" et c'est fort juste. On pourrait également le résumer par : " Vérités et légendes sur la secte des Assassins". 

Une phrase

  • "Si tout n'est pas faux dans les allégations du Vénitien (Marco Polo), beaucoup de ce qu'il rapporte tient de l'invention et de la manipulation". (P. 24) 

  • A l'époque de Hasan II (1162-1166) : "Le résultat de la Proclamation (de la Grande Résurrection) de Hasan II fut paradoxal. L'ismaélisme avait deux imams en même temps : l'un, fatimide, au Caire, l'autre nizârite à Alamût. Cette situation ne fut toutefois guère pérenne, la dynastie des Fatimides allant être balayée dès 1171 par Saladin le sunnite, fondateur de la dynastie des Ayyoubides". (p. 131) 

  • "Dans le cas des Nizârites, on peut avancer sans crainte qu'Hasan Sabbah et Sinân définirent une méthode de guerre particulière dans la mesure où ils n'avaient pas les troupes en nombre suffisant pour affronter leurs adversaires, les Seldjoukides sunnites qui avaient envahi l'Iran, leur pays, puis les Croisés. Les Fidâwis apprirent en conséquence la plus rude des disciplines, faite de dévotion au chef et de sacrifice à la "cause"- ce qui est une composante de tous les chiismes musulmans- ainsi que les techniques de la dissimulation et de l'infiltration au coeur des systèmes ennemis, les mieux gardés en théorie. Il leur était aussi demandé de perpétrer leurs actes au milieu de la foule, devant une église ou une mosquée afin que l'assassinat d'un potentat servît d'exemple à tous.  (p. 190) 

  • "La tradition des imams se poursuivit dans la clandestinité d'abord, ouvertement ensuite... Le message (d'Alamût) et son "idéologie", si tant est que ce terme corresponde à l'oeuvre des Ismaéliens de l'époque, étaient tous deux tournés vers l'idée d'un islam serein, tolérant et libéral, très influencé par le zoroastrisme, religion ancestrale des Iraniens... " (p. 192) 

L'auteur

Yves Bomati, historien des religions, docteur ès lettres et sciences humaines, diplômé de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, a publié cinq ouvrages consacrés à la Perse et à l'Iran dont quatre avec comme co-auteur Houchang Nahavandi  :   Shah Abbas, empereur de Perse, 1587-1629, éd. Perrin, 1998, éd. en anglais, 2017 ; Mohammad Reza Pahlavi, le dernier shah, 1919-1980, éd. Perrin, 2013 ; éd. Tempus 2019, éd. en persan 2014 ; Les grandes figures de l’Iran, éd. Perrin, 2015 ;  Iran, Une histoire de 4 000 ans, éd. Perrin, 2019, éd. en chinois 2021. Son ouvrage L'Âge d'or de la Perse - L'épopée des Safavides :1501 - 1722 est paru chez Perrin en 2023. La presse et les magazines font souvent appel à ses connaissances sur l'Iran, notamment le dossier du Point sur la Perse (Mani, père du manichéisme ; ou  Le grand affrontement avec les sunnites). 

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