Le petit théâtre de Hannah Arendt
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Thème
Ce très joli livre décrit aux jeunes la philosophie de Hannah Arendt sous la forme d’un conte philosophique et allégorique.
« Hannah » est un palindrome. Dans le livre, le passé et le présent sont miraculeusement alignés et Hannah Arendt, à la fin de sa vie, retrouve la petite fille qu’elle a été. Ensemble, elles s’embarquent dans une aventure qui résume l’œuvre de la grande Hannah. Sa philosophie devient un théâtre où la pensée se met en scène. Le mal est au cœur de la cité et de l’homme. Penser c’est oser agir, se rebeller et vivre son humanité. Et quand, à la fin, le penseur n’est plus de ce monde, la pensée, elle, est éternelle.
Ce que dit le livre : lorsque Hannah Arendt était enfant, elle était déjà passionnée par les livres et les histoires, par le désir d’agir et de prendre une part active aux événements. Elle reçut pour ses six ans un théâtre de marionnettes et donna pour ses cousins un spectacle dramatique très compliqué…
Ce que le livre ne dit pas : qui était Hannah Arendt ? (Le contexte qui n’est pas présenté dans le livre.) Hannah Arendt était une philosophe juive allemande, naturalisée américaine, qui a échappé à l’Holocauste en quittant l’Europe pour les États-Unis en 1941. Théoricienne politique géniale et controversée, c’est elle qui a inventé l’expression si puissante « la banalité du mal », lors du procès du criminel nazi, Rudolf Eichmann, en 1961 à Jérusalem. Par cette expression, elle voulait expliquer comment un petit fonctionnaire médiocre qui, selon lui, ne faisait qu’obéir aux ordres de ses supérieurs, pouvait être l’un des grands responsables de l’Holocauste.
« La banalité du mal » a des implications très importantes : elle signifie que le mal est potentiellement en nous tous et que l’absence de pensée et de jugement moral peut transformer un homme banal en machine exterminatrice, si la situation politique s’y prête. Avec la montée inquiétante en Europe des extrémismes nationalistes et néo-fascistes, il est plus important que jamais de garder en mémoire cette pensée puissante qui nous responsabilise tous.
Points forts
1- Un livre court, illustré et bien écrit.
2- Un conte profond et magique qui présente les théories de Hannah Arendt sur la société, le mal et le pouvoir, d’une façon simple et attirante. C’est une belle introduction à la pensée humaniste et politique dans son sens étymologique, c’est à dire « qui concerne le citoyen ».
3- De ravissantes illustrations à la fois stylisées et classiques accompagnent merveilleusement le texte.
4- Une collection magnifique et un éditeur qui ne regarde pas les enfants de haut mais, au contraire, leur parle avec respect et intelligence.
Quelques réserves
Ce n’est pas un point faible, plutôt une remarque. L’éditeur dit que les livres sont pour un public de 9 à 14 ans. Je pense que beaucoup d’enfants, en effet, accepteront l’histoire telle qu’elle est. Cependant, il est possible que certains se sentent un peu perdus en lisant l’intrigue qui ressemble plus à un rêve (un peu comme Alice au Pays des Merveilles) qu’à la réalité. L’aspect allégorique est plus adapté à des adolescents et à des adultes. Je crois donc qu’une lecture accompagnée pour les jeunes lecteurs serait particulièrement enrichissante, non pas forcément en leur parlant de la vraie Hannah Arendt, mais en réfléchissant avec eux à la signification possible des symboles évoqués dans l’histoire : le théâtre, la cité, la forêt, le renard, le loup, les marionnettes…
Encore un mot...
Un très beau livre, issu d’une superbe collection qui présente aux enfants nos grands philosophes. Une idée géniale pour introduire en douceur la pensée et la culture chez les jeunes. Un livre à offrir aussi à des adultes.
NB : la librairie de l’éditeur se trouve à Paris (7 rue des Fossés Saint Jacques dans le cinquième arrondissement ; RER Luxembourg) et organise des ateliers philosophiques pour les enfants. Un lieu à visiter absolument !
Une phrase
Ou plutôt quelques extraits:
1 D'abord un dialogue entre la petite Hannah et la grande Hannah sur la scène du théâtre :
« — Une histoire…
— Il faut du monde pour faire une histoire…
— Et il faut une histoire pour faire le monde.
— Des personnages.
— Bien sûr ! Si je suis seule au monde, l’histoire est trop prévisible. C’est parce que nous sommes plusieurs que le monde est ce qu’il est. »
2 « Une histoire qui mérite d’être racontée est une histoire qui a des spectateurs pour la juger. »
3 « — Tu n’es pas seulement venue au monde pour la vie de ton corps. Tu es venue aussi…
— Pour la vie de l’esprit ! complète la fillette qui se souvient du livre que la grande Hannah est en train d’écrire.
— Pour penser, vouloir, juger… Et entrer sur scène ! »
4 « — Vois-tu, soupire la grande Hannah exaspérée, si les pensées ne sont que des mots, elles peuvent bien finir par nous perdre… Il est bien beau de creuser des galeries, si aucune n’aboutit vers le monde des affaires humaines. »
5 « — Nous ne sommes pas des penseuses de terrier, mais des penseuses de terrain… ne prendre aucun risque, c’est être déjà comme mort, n’est-ce pas ? »
L'auteur
Marion Muller-Collard est une théologienne, née en 1978. Elle écrit pour les enfants et les adultes.
Clémence Pollet est née en 1985. Elle a fait ses études d’illustration à l’École Estienne de Paris puis à l’Académie des Beaux-Arts de Bologne et à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg. Elle a reçu plusieurs prix et a publié une dizaine d’albums.
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