LE COUTEAU DANS L’EAU
Bonus vidéo : Un ticket pour l’Ouest, retour sur la brève carrière polonaise de Roman Polanski; trois courts métrages du cinéaste en versions restaurées, Rire de toutes ses dents (1957, 2’) ; Cassons le bal (1957, 8’), Deux hommes et une armoire (1958, 14’).
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Thème
Journaliste sportif plutôt beau gosse, André décide de partir en croisière avec son épouse Christine sur un lac de Mazurie où ils possèdent un yacht. Sur leur chemin, ils rencontrent un jeune auto-stoppeur à qui ils proposent de les suivre à bord de leur bateau.
Leur complicité de départ va vite se déliter. La différence sociale entre le couple et son invité va provoquer quelques frictions, auxquelles va s’ajouter une tension souterraine due au trouble naissant qu’éprouve Christine pour le jeune homme. Quand ce dernier commence à donner de légers coups de couteau sur la coque du bateau, André, furieux, le jette à l’eau…
Points forts
– Bien que Le couteau dans l’eau soit le premier long métrage de Roman Polanski, on est sidéré par sa maîtrise. Ses plans sont purs, ses cadres parfaits, son inventivité, sidérante, sa photo, en noir et blanc, d’une beauté magnétique. Le plus étonnant est qu’il n’y a nulle esbroufe dans la façon de filmer du jeune cinéaste. Tout est simple, explicite, limpide.
– Le scénario est au cordeau et les dialogues, d’une redoutable efficacité. Aucune surcharge explicative ! Trois personnes sont sur un même bateau, la mer est calme, les échanges entre les navigants, réduits à l’essentiel. En apparence, il ne se passe pas grand chose, et pourtant, malgré la douceur climatique et le train-train du quotidien sur un petit voilier par temps doux, chacun des trois passagers va laisser deviner sa psychologie. Des faux-semblants s’installent ; à bord, l’ambiance devient électrique. On pressent un drame, mais sans pouvoir deviner ni quand il va surgir, ni qui le provoquera. Le cinéaste scotche le spectateur sans que ce dernier sache vraiment comment. On est à la fois chez Hitchcock, pour la menace qui sourd davantage à chaque nouveau plan, et chez Tennessee Williams pour la tension sexuelle qui s’exacerbe insensiblement à chaque nouvelle image. C’est du grand art !
– Et toute cette virtuosité stylistique qui est mise, presque en douce, au service d’un propos critique sur la Pologne communiste de l’époque ! On comprend qu’en fait, pour Polanski, ce brûlant huis-clos n’a été qu’un prétexte pour faire savoir que malgré les promesses des dirigeants, l’abolition des classes sociales est resté lettre morte en Pologne, et même – ce qui est plus grave encore – que les nouveaux idéalistes du régime sont encore loin de se libérer de leur fascination pour la puissance des « privilégiés ». Ce n’est pas par hasard si, après ce film, le cinéaste, désabusé, ira tenter sa chance à l’Ouest.
Quelques réserves
Aucun.
Encore un mot...
Élégance, maîtrise, liberté de ton, simplicité, tension, pureté formelle, virtuosité … À sa sortie en 1962, Le Couteau dans l’eau reçut une pluie d’éloges… Les cinéastes qui entrent dans la Cour des grands dès leur premier film sont rarissimes. Roman Polanski fut de ceux-là. Le Couteau dans l’eau lui valut, non seulement une nomination aux Oscars du meilleur film étranger – une première dans l’histoire de cette manifestation – mais aussi un Prix à la Mostra de Venise 1963. Assez inexplicablement, malgré des dithyrambes unanimes de la critique (exception faite de celle de la presse polonaise), ce film est resté un des plus mal diffusés du cinéaste et, par conséquent, un des plus mal connus.
Il faut donc saluer l’initiative de Carlotta de le ressortir en DVD et Blu-ray, dans une version magnifiquement restaurée, avec, en bonus, trois courts métrages que le cinéaste réalisa avant de se lancer dans le long. Ils sont, chacun, des petits bijoux de cinéma. Carlotta profite de cette circonstance pour rééditer parallèlement les deux films suivants de Polanski, Répulsion avec Catherine Deneuve ( Grand Prix du jury à la Berlinale de 1965 ), et Cul de sac avec Françoise Dorléac (Ours d'or à la Berlinale de 1966 ). Pourquoi cette trilogie ? Ce sont les seuls films que le cinéaste réalisa en noir et blanc.
Une phrase
« Même sans tenir compte du vent, du temps et des risques naturels qu’il y a à tourner sur l’eau, Le Couteau dans l’eau était un film diaboliquement difficile. Le yacht était d’une dimension parfaitement suffisante pour accueillir les trois protagonistes, mais inconfortablement exigu pour la petite douzaine de gens qui se tenaient derrière la caméra » ( Roman Polanski, réalisateur ).
L'auteur
Né le 18 août 1933 à Paris, Roman Polanski vit en France jusqu’à ce que son père décide de retourner vivre à Cracovie. Il n’a que trois ans, mais déjà sa demi-sœur Annette l’initie au cinéma. Après l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes en 1939, le petit Roman est contraint de vivre dans le ghetto de Cracovie. Contrairement à ses parents et à sa sœur, il parvient à s’échapper du ghetto et à échapper à la déportation. Recueilli par une famille à la campagne mais ne pouvant pas aller à l’école – elle est alors interdite aux juifs –, il fréquente beaucoup les cinémas.
Adolescent, il devient comédien, entre à l’école des Beaux-Arts de Cracovie et réussit finalement à intégrer l'École de Cinéma de Lodz. Son premier long métrage, le Couteau dans l’eau, coécrit avec Jerzy Skolimowski, lui vaut d’obtenir d’emblée en 1962 une reconnaissance internationale. Suivront pourtant quelques mois de vache maigre, jusqu’à ce que le jeune réalisateur, qui est revenu en France, tourne, en 1964, Répulsion, avec Catherine Deneuve. Il n’arrêtera plus. En 1966, ce sera Cul de sac (Ours d’Or à Berlin); en 1967, Le Bal des vampires, où il rencontre l’actrice Sharon Tate (qui, enceinte de huit mois, mourra assassinée le 8 août 1969).
Sollicité par le producteur Robert Evans, le cinéaste s’installe à Hollywood. Il y réalise, entre autres, en 1968, Rosemary’s Baby, qui lance la mode des thrillers sataniques, et en 1974, Chinatown, qui reçoit une multitude de récompenses et est considéré, encore aujourd’hui, comme l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma.
En 1978, à la suite d’une affaire d’abus sexuel sur une mineure (pour laquelle il purgera une peine), il quitte les Etats Unis et s’installe en France. Parmi les œuvres tournées depuis son arrivée dans l’Hexagone : en 2003, Le Pianiste, qui obtint la Palme d’Or à Cannes ; en 2010, The Ghost Writer qui rafla l’Ours d’argent à Berlin ; en 2011, Carnage, qui reçut le Petit Lion d’Or à Venise et en 2019, J’Accuse qui fut récompensé, à Venise, par le Grand Prix du Jury et à Paris, par le César de la meilleure réalisation. Depuis deux ans, c’est le silence radio autour du cinéaste. Rattrapé par une autre affaire d’agression sexuelle au moment de la sortie de J’accuse, il préparerait une riposte judiciaire. On ignore si, parallèlement, il travaille à un autre film.
Et aussi
- BILLIE de JAMES ERSKINE – DOCUMENTAIRE
Elle naît Eleanora Harris Fagan, en 1915, à Baltimore, mais c’est sous le nom de Billie Holiday qu’elle choisit de commencer à chanter, à l’âge de 14 ans pour échapper à l’emprise de sa mère. Quand elle meurt, à 44 ans seulement, en pleine déchéance physique et financière, après une vie mouvementée, laminée par les coups durs, la drogue, le racisme et la prostitution, Billie, a eu le temps d’écrire, de sa voix si rauque, si lancinante et si sensuelle parmi les plus grandes pages de l’histoire du jazz.
Au début des années 70, en vue d’une biographie, une journaliste new-yorkaise, Linda Kuehl avait commencé à rassembler des documents sonores sur cette chanteuse hors norme. Elle avait interrogé ceux qui avaient croisé la route de Lady Day. Sa moisson avait été fructueuse. De Sarah Vaughan et Louis Armstrong à Count Basie et Artie Shaw, en passant aussi par nombre des intimes, amants, maris, producteurs, proxénètes et autres de la chanteuse, tous avaient joué le jeu, dévoilant sur elle des vérités parfois sulfureuses. En 1978, Linda Kuehl meurt brutalement, dans des circonstances qui restent obscures. Son travail reste dans les placards. Quarante ans après, le producteur et réalisateur James Erskine décide de reprendre les enregistrements, et il les monte en y mêlant des images d’archives. Cela donne ce portrait sombre et éclaté d’une femme devenue une légende du jazz, qui paya cher son besoin viscéral de liberté et son engagement sans faille pour l’égalité des Noirs américains. Sorti peu avant le confinement d’octobre dernier, ce bouleversant et passionnant documentaire n’avait pas eu l’exploitation qu’il mérite. Le voici qui est édité par L’Atelier d’images en DVD et Blu-ray, enrichi de plus d’une heure de suppléments exclusifs dont une interview de son réalisateur, James Erskine, et un entretien avec ses producteurs Michele Smith et Sophia Dilley. L’édition prestige est accompagnée en plus d’un CD Audio de la B.O. du film. Pour les fans de Billie Holiday, c’est un évènement.
Recommandation: Excellent.
Sortie DVD, Blu-ray – Editions L’Atelier d’images –
Bonus vidéo : Interview du réalisateur James Erskine, interview des producteurs Michele Smith et Sophia Dilley, interview de Tom Wollaert sur la restauration de la bande-son, interview de Marina Amaral sur la colorisation.
– UN FILS de MEHDI M. BARSAOUI – Avec SAMI BOUAJILA, NAJLA BEN ABDALLAH…
En 2011, dans la Tunisie du Printemps arabe, Meriem et Fares ont tout pour être heureux. Ils sont riches, amoureux et parents comblés d’Aziz, un petit garçon de 10 ans. Leur vie bascule quand ils se retrouvent pris accidentellement dans une embuscade terroriste. Une balle traverse le foie d’Aziz. Il lui faut une transplantation. Commence alors une folle course contre la montre dans un pays où le don d’organe n’est pas répandu. A force d’obstacles et de coups de théâtre (dont le dévoilement d‘un secret de famille), le couple Meriem Fares va exploser.
Suspense, drame, film à la fois politique et social… Pour son premier long-métrage, Mehdi M. Barsaoui n’a pas eu peur de mélanger les genres et les thèmes. Le cinéaste débutant aurait pu s’y perdre…Il livre un film tendu, haletant, d’une grande beauté formelle et formidablement interprété, notamment par les comédiens qui jouent les parents du petit Aziz, Najla Ben Abdallah et Sami Bouajila. Particulièrement intense dans son rôle du père, ce dernier a reçu, en 2019, le Prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise, et en mars dernier, à Paris, le César du Meilleur acteur. Pour la sortie en DVD de ce beau film sur la paternité, son éditeur, Jour2fête a eu la bonne idée de l’accompagner d’un entretien avec Mehdi Marsaoui.
Recommandation : Excellent.
Sortie DVD et Blu-ray – Editions Jour2fête-
Bonus Vidéo : entretien avec Mehdi Marsaoui (23’).
– THE SINGING CLUB de PETER CATTANEO – Avec KRISTIN SCOTT THOMAS, SHARON HORGAN, EMMA LOWNDES, GABY FRENCH…
Yorkshire, 2011, sur une base de l’armée. Les soldats de la garnison de Flitcroft sont envoyés en mission à l’étranger. Pour tromper leurs angoisses, leurs femmes décident de créer une chorale. Elle est dirigée par l’austère mais surprenante Kate Barclay (Kristin Scott Thomas) épouse du colonel. Soudées par une envie commune de faire swinguer leur quotidien, Kate, Laura, Annie et les autres porteront leur « Singing Club » jusqu’au Royal Albert Hall pour un concert inoubliable…
En 1997, le réalisateur Peter Cattaneo avait déshabillé et fait danser les garçons dans l’hilarant et poignant The full Monty; en 2008, il avait mis en scène de drôles de musiciens dans The Rocker; voilà que pour son dernier film, il fait chanter des filles ! The Singing Club qui lui a été inspiré par une histoire vraie lui donne l’occasion de composer un beau portrait de groupe, dont les membres, malgré leurs différences et leurs différents vont parvenir à une vraie cohésion et une sincère fraternité.
Parce que Peter Cattaneo fait du cinéma « consolateur », c’est-à-dire drôle et sentimental, The Singing Club est évidemment une fois encore un feel good movie. Ses dialogues sont percutants et il offre à la délicieuse Kristin Scott Thomas, trop discrète au cinéma depuis quelques années, un de ses meilleurs rôles.
Alors que The Singing Club devait être projeté dans les salles en juillet 2020, les producteurs avaient préféré pour lui une diffusion directe sur Canal +. Il sort aujourd’hui en DVD, accessible donc à tous, et enrichi des interviews de plusieurs de ses comédiennes, dont celle de Kristin Scott Thomas.
Recommandation: Excellent
Sortie DVD – Editions Pyramide Vidéo
Bonus vidéo : interviews des actrices et du réalisateur Peter Cattaneo.
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