Le jeune Karl Marx
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Thème
Cologne, avril 1843. Alors qu’en pleine industrialisation l’Europe crée deux grandes classes : celle des ouvriers et celle des possédants, alias capitalistes (propriétaires d’usines, banquiers, etc.), le jeune Karl Marx (25 ans) doit émigrer en France avec sa femme Jenny et leur fille en bas âge suite à ses prises de position contre les injustices sociales, au sein de la Gazette rhénane tenue par Ruge.
Simultanément, à Manchester, Friedrich Engels (23 ans) s’éprend de la jeune Irlandaise Mary Burns que son père, patron de filatures, vient de licencier pour avoir mené un mouvement de grève. A ses côtés, il découvre les conditions de vie du milieu ouvrier.
Se rendant à Paris, Engels rencontre Marx au sein d’un nouveau journal créé par Ruge, lui aussi émigré en France. Après s’être provoqués verbalement, avoir échappé à une descente de police et passé une nuit à boire ensemble, ils deviennent amis. Lors d’un banquet républicain, ils croisent Proudhon et Bakounine. Dès lors, ils vont forger de concert leur pensée visant à fédérer les ouvriers pour organiser LA Révolution. Trois ans plus tard naît “La ligue des communistes” autour du slogan “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous”, suivi par la parution du Manifeste du Parti communiste et du “Printemps des peuples”, de 1848.
Points forts
Aborder de façon engagée sans se vouloir polémique une figure aussi iconique, controversée voire manipulée que celle de Karl Marx, le tout sans ennuyer ni provoquer ses thuriféraires comme ses adversaires, relevait de la gageure. En s’attachant aux seules quatre premières années de formation de sa pensée, de ses rencontres avec Engels, Proudhon et Bakounine et en restant au plus près de l’être humain, notamment via sa vie privée, Raoul Peck réussit son pari.
Il est vrai, Raoul Peck connaît parfaitement son sujet et sait le rendre passionnant au point de faire de sa biographie un vrai spectacle. Le soin scrupuleux porté à la reconstitution historique, sociale et politique ainsi qu’aux décors comme aux lumières est époustouflant tout comme est judicieuse par sa clarté l’intégration au récit des citations du penseur.
De plus, le message qu’il véhicule sans lourdeur ni anachronisme, fait écho au monde d’aujourd’hui, avec malice. Ainsi cette séquence où le PDG de fonderies Naylor justifie auprès de Marx et Engels l’emploi d’enfants pour lutter contre la concurrence.
Enfin, comment ne pas savoir gré à l’auteur d’avoir banni tout artifice de tension dramatique mensonger et inutile ? Intimes, Friedrich Engels et Jenny Marx ne fricoteront pas car ce ne fut pas le cas et, vrais amis, ni Marx ni Engels ne se jalouseront pour leurs succès personnels.
“Marx est aussi peu responsable du goulag que Jésus Christ des massacres de la Saint-Barthélémy !” explique Raoul Peck. Résultat, on ressort de son film à la fois nourri comme spectateur et moins poussé à prendre parti qu’avec l’envie de retourner aux sources pour comprendre les deux hommes et leur pensée au regard du contexte afin de fixer notre point de vue par nous-mêmes.
Quelques réserves
S’il faut en trouver un, on regrettera une mise en scène un peu trop sage comme souvent avec les films historiques, notamment comparée à celle du superbe I’m not your negro du même réalisateur (2016).
Sans doute était-ce le prix à payer pour rendre ce film aussi beau à voir sur la forme que simple à suivre sur le fond et ouvert au plus large public possible.
Encore un mot...
“Pierrette Ominetti d’Arte m’a contacté en me demandant si je pourrais imaginer un film autour de Karl Marx selon une approche mixte mi-documentaire / mi-fictionnelle. (…) Je savais qu’il ne fallait pas essayer d’expliquer le grand Marx barbu, l’icône en statue de granit qui a servi de prétexte à des monstres pour commettre leurs crimes. (…) Je montre juste comment cela se passe pour Marx et ses amis, de jeunes bourgeois qui prennent le risque de tout mettre en doute, qui critiquent tout et, ne se contentant pas de critiquer, travaillent, s’engagent dans l’action au prix de l’exil et de la précarité, et se mettent en danger”. Raoul Peck.
Le lecteur de ces lignes a désormais tout pour mesurer par lui-même l’honnêteté de ces propos en devenant spectateur de l’œuvre.
Une phrase
- “Il n’y a pas de bonheur sans révolution contre le vieux monde”. Marx à ses amis.
- “La critique dévore tout ce qui existe. Et quand il n’y a plus rien, elle se dévore elle-même”. Weitling à Marx.
L'auteur
Réalisateur, scénariste et producteur, Raoul Peck naît à Haïti sous les Duvalier dont le régime menacera ses parents; il grandit au Congo, aux États-Unis et en France.
Après des études d’ingénierie et d’économie puis de cinéma à Berlin, il devient ministre de la Culture d’Haïti de 1996 à 1997.
En 2001, Human Rights Watch lui remet le prix Irene Diamond pour l’ensemble de son travail.
Tout en menant une vie militante de gauche active, il devient journaliste et photographe de 1980 à 1985, réalise plusieurs courts métrages documentaires en Allemagne, entre à l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin où il réalise plusieurs œuvres polémiques.
En 1985, il se lance dans le long métrage avec Haitian Corner”, tourné à New York. Parmi ses œuvres marquantes, on retiendra son “Lumumba, mort d’un prophète” en 1991, sur le leader congolais, père de l’indépendance de l’ex Congo belge, assassiné en janvier 1961; et, bien sûr, son tout récent “I’m not your negro” (2016), conçu à partir des écrits de l’écrivain noir James Baldwin.
Nous invitons nos lecteurs à se reporter sur les sites en ligne pour découvrir ce réalisateur engagé dont la vie militante et artistique sont trop intriquées et denses pour être détaillées ici.
Précisons pour conclure que Raoul Peck est président de la Fémis (école du cinéma) depuis 2010, et a été membre du jury de la Berlinale en 2002 et du festival de Cannes en 2012.
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