Les exploits de Michel Vaillant, T1. Le Grand Défi
p. 62, prix 69 francs (d’époque)
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Thème
Jean Graton vient de nous quitter le 21 janvier dernier à l’âge de 97 ans. Pour lui rendre hommage, je vous propose une chronique inhabituelle d’un album paru en 1959, le tome 1 des aventures, pardon, des exploits, de Michel Vaillant, Le Grand Défi.
Mettons tout de suite les choses au point : Jean Graton n’est pas un auteur de Bandes Dessinées, mais un passionné de courses automobiles qui a passé sa vie à dessiner sa passion.
Il va donc créer, un jour de 1957, le célèbre personnage de Michel Vaillant, coureur automobile des écuries du même nom. Il était à un tel point imprégné de cet univers, qu’il en est devenu un acteur incontournable, ami de nombreux pilotes. Il va, d’ailleurs, les intégrer dans les aventures de son héros, et ainsi renforcer l’impression de réalité qui accompagne son héros.
C’est Alain Prost, le célèbre champion de Formule 1, qui traduit le mieux ce mélange de la réalité et de l’imaginaire, par ces mots qui ouvrent l’intégrale que l’éditeur Le Lombard a consacré à Michel Vaillant à partir de 2008.
« Michel Vaillant m’a offert un cadeau inestimable : il m’a ouvert les portes du sport automobile. De ce cadeau, je lui resterai éternellement reconnaissant. »
Rarement, un héros de Bande Dessinée fictif n’a autant donné l’impression d’appartenir au monde réel, au point de devenir le modèle de véritables pilotes.
La première grande aventure de Michel Vaillant, le Grand Défi, met en scène la rivalité entre Michel Vaillant et un pilote américain, Steve Warson, arrogant et sûr de lui. Le but de ce défi, qui verra les deux coureurs d’affronter sur cinq courses à travers le monde, sera de déterminer qui de ces deux pilotes est le numéro 1 mondial. Nous allons donc suivre le déroulement de ces cinq courses et ainsi découvrir les différents protagonistes de la série.
Points forts
Dès cette 1ère aventure, Jean Graton fait preuve d’une maturité étonnante dans ses dessins. Alors que tant d’auteurs contemporains mettent quelques albums pour stabiliser leurs personnages et leur maîtrise des décors (on pense par exemple à Buck Danny ou Lucky Luke), ici, tout est parfait, ou presque, dès le 1er album. Bien sûr, sa restitution des courses automobiles est ce qui fait le mieux éclater son talent. A partir d’un trait classique, très école belge de cette époque, son coup de crayon va donner au récit un rythme incroyable et il se permet même quelques audaces graphiques. Je vous recommande, dans cette première aventure, la pleine page sur le départ des 24 heures du Mans, une pure merveille.
Jean Graton est aussi un formidable raconteur d’histoires, qui savait vous donner l’envie de tourner la page pour connaître la suite de l’intrigue. Cette maîtrise du scénario, on peut supposer sans trop de risque de se tromper qu’il l’a acquise pendant les presque 10 années qu’il a consacré à illustrer la série des Belles Histoires de l’Oncle Paul. L’Oncle Paul était un personnage emblématique du journal de Spirou. C’était l’oncle que tous les enfants rêvaient d’avoir. En quatre pages, il racontait des anecdotes historiques, mettant le plus souvent en valeur des actes d’héroïsme ou de grandes découvertes scientifiques. La série se voulait éducative, porteuse de valeurs morales fortes, ce qui était une marque omniprésente de la Bande Dessinée de cette période d’après-guerre. Et c’est à Jean Graton qu’on confia l’illustration de ces récits. Lorsqu’on n’a que quatre pages pour installer une histoire, on apprend à maîtriser le rythme de son dessin et à supprimer tout le superflu.
Ce sont les histoires de l’Oncle Paul qui ont permis la naissance de Michel Vaillant. En 1951, lorsqu’il dessine sa première histoire de l’Oncle Paul, Jean Graton est encore un novice en Bande Dessinée. Sept ans plus tard, il aura acquis suffisamment d’expérience pour imaginer sa grande œuvre. Michel Vaillant allait pouvoir naître, au prix, tout de même, d’un crime de lèse-majesté, passer du Journal de Spirou à celui de Tintin. Une véritable trahison, dans le contexte de rivalité très forte à cette époque entre les deux maisons.
Quelques réserves
Lire avec le regard d’aujourd’hui une BD écrite il y a 70 ans pose toujours quelques problèmes qu’il faut contextualiser. Comme je le disais plus haut, la Bande Dessinée d’après-guerre était le principal vecteur de la Culture des enfants. Il fallait donc mettre en avant les valeurs morales de l’époque, le courage, l’amitié, la famille, au prix d’une lecture qui, aujourd’hui, peut apparaître un peu naïve. Dans cette première aventure, cette naïveté peut s’illustrer par l’amitié naissante entre les deux rivaux, Vaillant et Warson, amitié qui ne se démentira pas au fil des aventures.
Ce décalage des époques se ressent encore plus fortement, dans ces premières aventures avec la place des personnages féminins. Il serait anachronique de parler de misogynie, tant il y avait une « normalité » dans cette vision de la femme. C’est, évidemment, plus difficilement acceptable avec le regard d’aujourd’hui.
Enfin, on lui pardonnera cette petite coquetterie, assez fréquente à l’époque, de s’être inséré dans cette toute première aventure.
Encore un mot...
ETERNEL
Jean Graton, petit Nantais, au destin d’ouvrier tout tracé, a su, un jour, en décider autrement en partant vivre à Bruxelles. Peut-être sans savoir que cette ville était le centre névralgique de la Bande Dessinée Européenne. Et sûrement sans se douter qu’il en deviendrait un acteur majeur.
Et, pourtant, entre 1958 et 2007, Jean Graton nous livrera 70 aventures de Michel Vaillant. Bien sûr, ce cheminement de presque 50 ans n’est pas un long fleuve tranquille. Comme beaucoup d’autres séries, l’excès a parfois nui à la qualité. Mais, en cette heure d’hommage à un grand auteur, nous ne nous rappellerons que le meilleur. Le Grand Défi, c’est le meilleur du meilleur, car c’est là où tout commence. Penché sur sa planche à dessin, Jean Graton allait imaginer un personnage que, 70 ans plus tard, personne n’aura oublié, amateur de BD ou pas. Et ça, c’est l’empreinte des géants.
Je me demande juste quelle est la marque de la voiture qu’il va conduire là-haut, mais une chose est sûre, elle ira vite, très vite.
Merci Monsieur Graton
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