Chronique festivalière du 25 juillet
Bonjour à tous,
La création contemporaine est à l'honneur aujourd'hui. Des sensations fortes et émouvantes.
Bonne lecture.
Jean-Pierre Hané
DEUX RIEN – de Caroline Maydat et Clément Belhache
Espace Roseaux Teinturiers – 10H – relâches les 12, 19, 26 juillet
Mise en scène et jeu de : Caroline Maydat et Clément Belhache
Ils sont deux, là, posés sur un banc. Ils se regardent, s’épient, s’observent. Ils doivent partager ce bout de banc mais est-ce si facile quand on a que ce petit bout de monde à soi ?...
POINTS FORTS
La poésie du quotidien à travers ces deux êtres perdus au milieu de notre temps, en marge de tout.
Une gestuelle et un langage du corps qui n’a pas besoin de mots pour exprimer l’essentiel.
Un bel univers sonore et une scénographie lumineuse d’une douceur et d’une nostalgie délicieuses.
POINTS FAIBLES
La seule faiblesse est celle de nos cœurs qui s’attachent à ces deux petits morceaux de banquise qui luttent pour ne pas devenir des glaçons noyés dans notre société. Cela devrait nous encourager à regarder plus autour de nous et d’aller au-delà des apparences sur ceux que nous croisons quotidiennement …
ENCORE UN MOT
Spectacle de geste, de clown, de mime, de danse, on en saurait le qualifier tant il est foisonnant. Les deux interprètes nous emmènent sur les chemins de l'enfance, du jeu, de la complicité sans mots dire avec fantaisie, poésie, insouciance de l'enfance dans l'état de jeu qui lui est propre et que nous nous interdisons, nous les plus grands. On aurait envie d'aller jouer avec eux. Une bouffée de liberté et d'enfance , propice au rêves audacieux - en partant de rien - dans lequel on redécouvre ce qui fut notre innocence de nous laisser emporter dans le jeu sans réfléchir aux tenants et aux aboutissants du propos, juste pour le plaisir de jouer avec l'autre. Courez-y !
UN PAS APRES L’AUTRE – de Fabio Marra
Scala Provence – 16H15 – relâches les 11, 18, 25 juillet
Mise en scène : Fabio Marra
Avec : Catherine Arditi, Nathalie Cerda, Sonia Palau, Fabio Marra
Matteo le fils d’Ariana ne peut plus sortir de chez lui, il vit reclus dans une pièce à la suite d’un traumatisme. Il loge chez sa mère et sa tante qui pour des raisons financières ont dû emménager dans la loge du concierge et quitter leur atelier de haute couture. Elles tentent tout pour le faire sortir mais lui préfère rester dans un monde virtuel plus confortable. Sa passion pour le cosmos, lui a fabriqué un cocon rassurant duquel, il va falloir qu’il s’extraie.
POINTS FORTS
La prestation du couple Catherine Arditi et Nathalie Cerda est remarquable d’authenticité, opposant légèreté blessée et fierté douloureuse avec beaucoup d’humanité.
L’innocence de Fabio Marra est pudique et déchirante.
POINTS FAIBLES
Cela tient surtout à l’acoustique de la salle trop vaste pour un spectacle qui mériterait plus de proximité.
ENCORE UN MOT
L’amour filial est le centre du propos, la composition d’une famille et son rapport à la tendresse.
Quelques soient les traumatismes subis, comment peut-on réagir à titre personnel ou au nom de la famille ? Comment la place de la parole, le poids du secret, du non-dit écrasent t’ils l’intime et favorisent-ils le repli sur l’imaginaire. Tous ces questionnements fluctuent dans cette pièce sensible et brûlante. Sans pathos et tout en pudeur, ce petit microcosme familial fleure bon l’Italie populaire. Poussez la porte de cet atelier de fond de cour, le cœur en bandoulière.
ALLOSAURUS – de Jean-Christophe Dollé
11. Avignon – 21H15 – relâches les 12, 19, 26 juillet
Mise en scène : Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Avec : Yan de Monterno, Clotilde Morgiève, Noé Dollé, Jean-Christophe Dollé
Ils sont trois, ils ne se connaissent pas, ils charrient tous trois leurs cœurs blessés.
Ils vont se croiser autour de la même cabine téléphonique qui leur servira de refuge, de point de fuite. Ils entreront en contact et se lieront par le biais du hasard et de ce fil téléphonique, cordon ombilical de leurs vies malmenées.
POINTS FORTS
L’imaginaire de Jean-Christophe Dollé, auteur d’une poésie contemporaine du quotidien.
La mise en scène immersive qui apporte au spectacle un fragment d’émotion supplémentaire
La bouleversante interprétation de Clotilde Morgiève dans ce personnage fragile à l’extrême qui déchire le cœur ; Yan de Monterno tel une statue de verre brisée qui ne saurait éclater en mille morceaux toujours au bord de l’explosion ; la vibration tout en tension de Jean-Christophe Dollé père éparpillé dans ses émotions.
La musique de Noé Dollé qui interagit comme un quatrième personnage lancinant planant sur ces destins maudits qui aspirent à la paix.
POINTS FAIBLES
A part la chaleur dans la salle (mais ça… c’est pas de leur faute, la salle est pleine et c’est tant mieux).
ENCORE UN MOT
Une fois de plus ce couple de théâtre formidable nous entraîne au plus profond de nos émotions, déstabilisant notre intimité, pour la rendre plus vibrante, fragile et disponible au message d’amour véhiculé. Portrait vibrant d’une société qui ne sait plus dire « je t’aime » et qui passe vite, trop vite d’une chose à l’autre, d’un être à un autre, qui ne prend plus le temps de l’autre.
Cet Avignon aura eu pour la compagnie un point commun : la cabine téléphonique qui leur aura permis de créer un univers original, qui aura réveillé des nostalgies, redonner du sens à la patience des émotions qu’on oublie aujourd’hui dans un monde où l’immédiateté étouffe nos relations. Laissez-vous porter et emporter par toutes les raisons du cœur.
SALINA – de Laurent Gaudé
11. Avignon – 21H15 – relâches les 12, 19, 26 juillet
Mise en scène : Bruno Bernardin, Khadija El Mahdi
Avec : Bruno Bernardin, Khadija El Mahdi, Chantal Gallier, Célia idir, Lahcen Razzougui, Giovanni Vitello
S’il veut que le corps de sa mère soit enterré et accueilli dans le sanctuaire, Malaka le fils de salina doit raconter au passeur de la barque des morts ce que fut la vie de cette femme. Un conte extraordinaire commence fait d’amour et de sang.
POINTS FORTS
L’adaptation porte haut le verbe au souffle puissant de Laurent Gaudé.
Une tragédie flambante qui met en scène une femme, une héroïne blessée, déterminée, violente et passionnée.
Un travail de chœur qui résonne fort.
Une aventure palpitante, épique qui épouse l’atmosphère de ce festival aux chaleurs étouffantes.
La version du plein air donne à ce spectacle une dimension toute particulière.
POINTS FAIBLES
Pas le moindre grain de sable
ENCORE UN MOT
C’est une épopée déchirante que le parcours que nous offre Laurent Gaudé superbement adaptée par Khadija el Mahdi et Bruno Bernardin. Tous les éléments de la tragédie sont là, vibrants, violents. Cette héroïne fait écho à toutes les violences subies depuis la nuit des temps envers les femmes et sans en faire un spectacle militant, elle témoigne d’une manière très onirique de la force du combat et de la toute-puissance de l’amour.
C’est aussi une œuvre qui met en exergue la toute-puissance de l’être à se métamorphoser en monstre et sur cette mystérieuse alchimie à travers le temps d’une mémoire invisible qui se transmet. Sans faire de comparaison excessive, je n’avais pas retrouvé cette force du récit depuis « Incendies » de Wajdi Mouawad. Il faut rendre hommage au travail choral de toute cette troupe animée d’une puissance de jeu qui balaye le plateau comme le vent brûlant du désert qui souffle sur le festival. Rendez-vous au carrefour des passions assassines pour un cri déchirant de l’âme.