Odette Froyard en trois façons
Parution le 4 janvier 2024
272 pages
20 €
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Thème
- En plein confinement, à la faveur peut-être de l’isolement et du silence qu’il impose, Isabelle Monnin convoque le souvenir d’Odette Froyard, sa grand-mère, une femme ordinaire, effacée, chez laquelle on déjeunait en famille le dimanche.
- En sondant la « phréatique des souvenirs » ne surgissent que les gestes mécaniques de la femme au foyer : cuisine, vaisselle, ménage, lavage, repassage, jardinage… Ses propos se résument à des expressions toutes faites, à la complicité avec ses petits-enfants, à une courte promenade champêtre. Cette femme, issue d’une famille nombreuse de dix enfants, reste opaque et évanescente dans la reconstitution du souvenir autobiographique.
- La seconde partie s’appuie alors sur des témoignages. L’interview des cousins, des cousines, des membres de la famille reste stérile. Les recherches généalogiques sur internet, les actes de naissance, avis de décès font émerger un arrière-grand-père : « Eugène », qui a jeté « la honte » sur la famille. Il a abandonné trois enfants dont son fils unique, Léon, père d’Odette et de ses neuf frères et sœurs. Quand il meurt, à 45 ans, son appartenance (comme son père) à la franc-maçonnerie explique que la grand-mère d’Isabelle Monnin, trois de ses sœurs et le petit Jean sont recueillis à Paris dans l’orphelinat géré par les « frères ». Là se trouvent aussi deux frères nommés « les égyptiens » compagnons d’infortune des enfants Froyard. La romancière va alors créer « le roman d’Odette ».
- C’est la dernière « façon » de faire revivre sa grand-mère, une partie très brève mais qui lui redonne une sensibilité, des émotions et toute une richesse intérieure jamais « visible ». De l’effacement (peut-être consenti) on passe au mystère, au mutisme choisi plutôt que subi, Odette est devenue une héroïne.
Points forts
- Odette Froyard est un personnage familier pour le lecteur, on a l’impression d’avoir côtoyé ce genre de femme pétrie de devoirs : bonne fille, bonne épouse, bonne mère s’imposant la modestie comme dernier commandement. Sociologiquement c’est un type humain.
- L’art de la romancière qui mêle habilement autobiographie et fiction la rend proche, sympathique. Son destin force l’admiration. Odette est touchante dans son humble humanité, ce personnage de l’ombre, un peu falot, acquiert l’ampleur d’une héroïne tragique à la fin du roman. A force d’obstination, Isabelle Monnin a redonné des couleurs à la vie désespérément grise du début.
- Enfin le style de la romancière est une merveille de trouvailles originales, de justesse dans l’expression. Vocabulaire extrêmement riche et précis, concision du style confirment une grande qualité d’écriture.
Quelques réserves
- On peut être surpris par le chapitre « Au lac des Oubliés » qui développe sur dix pages l’image de fantômes subaquatiques mais certains apprécieront peut-être cette longue métaphore filée comme l’exploration d’un univers fantastique.
Encore un mot...
Je vois dans la démarche d’Isabelle Monnin comme une mise en abyme de la création littéraire. Elle nous a déjà étonnés avec le roman intitulé Les gens dans l’enveloppe. A partir de photos achetées sur Internet, elle imagine le roman d’une famille, puis insère les photos dont elle s’est inspirée au milieu du livre avant d’en retrouver les véritables acteurs. « Je crois que toute vie vaut la peine d’être racontée, chaque vie est un témoignage de toutes les autres. ». C’est une démarche humaniste à laquelle nous convie Isabelle Monnin, une invitation à porter un autre regard sur le monde.
Une phrase
- « Je m’étais forgée avec le temps une conviction anxiolytique : toutes les vies méritaient d’être non seulement vécues mais distinguées. Il y avait de l’extraordinaire dans chaque destin, fût-il éphémère ou apparemment sans relief. » p 19
- « Je me sentais chargée d’un cold case. Odette Froyard était portée disparue. Elle s’était évaporée bien avant sa mort, diluée dans le long silence qu’elle gardait. Ce n’est pas qu’elle avait été tuée, c’était plutôt qu’elle avait été empêchée d’exister . » p112
- « Elle est un coffre-fort que nul ne cherche à percer, elle déjoue toutes les tentatives d’approche. » p260
L'auteur
Isabelle Monnin, après avoir été reporter au Nouvel Obs de 1996 à 2014, s’est éloignée du journalisme pour se consacrer ces dix dernières années à l’écriture.
Les Vies extraordinaires d’Eugène paraît en 2010.
Les Gens dans l’enveloppe connaît un certain retentissement en 2015.
Mistral perdu et évènements s’inspire du décès brutal de sa sœur en 2017.
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