Les vies rêvées de la baronne d’Oettingen

Les tribulations d’une jeune polonaise dans le Paris artistique bouillonnant du début du XXème siècle. Quel destin !
De
Thomas Snégaroff
Albin Michel
Parution le 3 janvier 2024
243 pages
19,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Elena Miontchinska est une jeune fille pressée. Pressée de quitter la propriété familiale perdue dans une province polonaise en cette fin de siècle, soumise aux hurlements des loups alentour et entretenue grâce aux revenus d’un élevage de carpes. Pressée de fuir l’éducation d’une mère, comtesse célibataire désœuvrée, peu aimante et seulement soucieuse de voir sa fille garder son rang. Pressée de connaître l’amour charnel et sentimental. Pressée enfin d’assouvir l’ambition qui la dévore littéralement depuis sa plus tendre enfance de devenir une actrice du monde et d’y laisser une trace… 

Son mariage avec le baron d’Oettingen, dont elle divorcera un an plus tard mais qui aura l’élégance de lui laisser son titre, sera la flèche glorieuse dans la trajectoire de sa destinée. Paris, en ce siècle naissant, est l’endroit où il faut être et, chaperonnée par Serge, un cousin éloigné, elle rejoint la Ville Lumière. Très vite, elle devient Hélène, figure incontournable du monde exaltant de l’Art sous toutes ses représentations, proche d’artistes novateurs, peintres, écrivains, sculpteurs, poètes, rencontrés dans tous ces lieux de la créativité ébouriffante à Montmartre ou à Montparnasse.

Son désir absolu d’émancipation l’entraîne dans des relations amoureuses dont elle s’affranchit toujours, de peur d’en devenir dépendante et la mène elle-même à la création, sous des noms d’emprunt, à la fois littéraire, poétique, picturale. La guerre viendra bouleverser le foisonnement de cette vie mondaine et culturelle, le retour à la paix sera, pour la baronne d’Oettingen, scarifié par un manque d’argent, la bridant dans son exubérance et la coupant peu à peu de ses relations courtisanes. Elle mourra dans un dénuement amer, entourée de son affectueux cousin qui aura assisté tout au long de ces années à l’éclosion et à l’extinction d’une femme-étoile...

Points forts

Thomas Snégaroff nous propose un livre dense, enjoué, d’une vivacité réconfortante, avec la saveur d’une écriture sautillante et colorée. Le monde dans lequel chemine cette chère baronne est déjà lui-même un espace romanesque hanté par les plus grands, depuis Picasso jusqu’à Apollinaire, en passant par le Douanier Rousseau ou Archipenko, et c’est peu dire qu’il y a là une matière infinie à l’imagination littéraire. Snégaroff en fait bon usage et nous entraîne joyeusement dans le sillage de tous ces esprits brillants, nous attachant comme eux à Hélène.

Quelques réserves

La densité est parfois l’ennemie de la pureté. La multiplicité des personnages évoqués prend parfois l’allure d’un catalogue et on peut de temps à autre errer dans le dédale de cette population d’artistes tous dévorés du feu ardent de la création. Les rencontres d’Hélène s’enchaînent à un rythme virevoltant et leur sincérité souffre un peu de la rapidité avec laquelle elles se construisent tout autant qu’elles s’évanouissent, mais c’est sans doute là, chez elle, la forme d’une soif permanente de vie.

Encore un mot...

Le roman de Thomas Snégaroff est une ode à la femme et à une époque. A la femme d’abord puisque derrière le portrait d’Hélène se dessine l’image de l’émancipation, de la volonté de se détacher des contingences sociales et d’assumer la pleine possession de son corps et de ses sentiments. Et c’est peu dire que ce dernier point est pour Hélène l’arme aiguisée de sa volonté d’indépendance vis à vis de la gent masculine, n’hésitant pas à se dénuder pour séduire, à s’attacher pour glorifier son désir et à quitter pour ne pas verser dans une liaison routinière !                                                                                                                                

Et dans ce sens, elle incarne, au même titre que ses amis cubistes dans la peinture, une avant-garde du féminisme qui se concrétisera tout au long des décennies suivantes. A l’époque ensuite, car ces années d’avant la Grande Guerre auront été le creuset d’une créativité inouïe, façonnant une véritable deuxième Renaissance et offrant à tous ces artistes désargentés et utopiques d’inscrire à tout jamais la marque de leur génie. Et ce roman nous emmène dans un voyage où l’émotion surgit à chaque évocation, qui de Brancusi, qui de Braque et de tant d’autres...

Une phrase

  • « Maman ! On n’enferme pas son enfant ! hurle Elena, sans susciter la moindre explication de la part de sa mère. Je m’en irai, je le jure, je m’en irai. » Page 23
  • « Se relever, continuer, améliorer, écrire. Que faire d’autre ? Écrire et peindre, à défaut de séduire et de faire l’amour. » Page 207

L'auteur

Thomas Snégaroff est né en 1974. Il est agrégé d’histoire, spécialiste des États-Unis, contributeur à l’Institut Diderot, journaliste dans plusieurs médias dont France Info et France 5 et a enseigné à la fois dans un lycée et en classe préparatoire, ainsi qu’à Sciences Po Paris.

Il a publié entre 2008 et 2020 de nombreux ouvrages sur l’Amérique dont Les Etats-Unis pour les nuls en 2012. Un premier roman :  Putzi, édité en 2020, a rencontré un certain succès. Il retraçait la vie rocambolesque d’Ernst Hanfstaengl, surnommé Putzi, galériste new-yorkais devenu le pianiste privé d’Hitler et informateur privilégié auprès de Roosevelt !

C’est après avoir hérité d’un bureau ayant appartenu à l’un de ses ascendants, Dimitri Snégaroff imprimeur à Paris dans les années 20, que l’auteur découvre dans un tiroir du bureau des dessins évoquant le lien de son ancêtre avec la fameuse baronne et avec les promoteurs d’une revue célèbre à l’époque, Les soirées de Paris, dont Apollinaire. Le substrat de ce deuxième roman est là et Thomas Snégaroff nous offre à nouveau les délices d’une petite histoire dans la Grande ! Le pari est réussi... 

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