Le royaume enchanté
Traduction de Pierre Furlan
Parution le 30 janvier 2024
390 pages
23,50 €
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Thème
Russell Banks nous livre, juste après sa mort intervenue en janvier 2023, son dernier roman.
Il se déroule dans un cadre fin XIXe - début XXe siècle en Louisiane d’abord, dans une plantation qui a conservé, malgré l’abolition, tous les codes de l’esclavage ; véritable descente aux enfers, puis, énorme contraste, dans le royaume enchanté des Shakers au fin fond des Everglades en Floride.
Il s’agit là d’une communauté religieuse, issue des Quakers et parfaitement réelle, qui prône la séparation des hommes et des femmes, l’abstinence sexuelle totale - au point de ne plus pouvoir se renouveler - et se substitue à toute vie de famille.
Tout y est contraire à ce que le héros principal et les siens ont déjà vécu.
Ils sont maintenant en sécurité, nourris et logés, pris en charge.
Cela, cependant, au prix de l’adhésion à la Communauté des Shakers, à sa discipline rigoureuse notamment, pour un adolescent, l’interdiction de l’amour naissant et un travail acharné qui ne laisse place qu’à la prière.
La devise de la Communauté: " Les mains au travail et le cœur à Dieu ".
Le destin du personnage principal est malgré tout tissé d’amour-passion, de trahison et, finalement, d’extrême solitude.
C’est le combat d’un individu contre la Communauté. Celui de la liberté et de l’amour, de la vie tout simplement contre la mort. Et c’est cet individu qui, en définitive, aura raison mais avec regret, de la Communauté jusqu’à sa perte.
Points forts
Un roman formidable.
Formidable, cette histoire racontée à la première personne.L’originalité des personnages résulte de leur parcours ; ils connaissent dès l’enfance le communisme (dans une colonie Ruskinite à laquelle les parents appartiennent), l’esclavage (dans une plantation du sud où ils échouent après la mort du père et une quasi-vie de moine (dans le " royaume enchanté " de la communauté Shaker).
Autant dire qu’ils n’ont rien connu de ce qu’ils appellent " le Monde "…On retrouve ici, dans un récit bien mené, tous les poncifs du romantisme : l’injustice de l’homme et de la maladie, l’amour qui brûle, le cadre d’une nature hostile et domestiquée, la pureté de la religion et même la consomption de l’aimée.
Mais tout cela est vu avec un œil moderne qui dénonce l’hypocrisie, le mensonge et l’illusion.
Une nouvelle fois l’auteur tord le cou aux vieux credos de l’Amérique.
Quelques réserves
Sans doute un problème de traduction, mais il est vraiment agaçant de retrouver trop souvent dans les dialogues la double interrogation soulignée par un " pas vrai ? ". Ça fait série américaine de la pire espèce, à la vulgarité confondante.
C’est vraiment dommage car le reste du style, plutôt réussi, n’inspire pas le même rejet.
Pour mémoire, autrefois en français, lorsque l’on voulait vraiment souligner une interrogation, on disait " n’est-ce pas ou n’est-il pas ? ".
Ce qui aurait parfaitement convenu à l’époque du roman, même en Amérique !
Encore un mot...
La critique sévère de l’Amérique protestante, puritaine, affairiste et hypocrite dans le cadre, au début du vingtième siècle, d’une nature magnifique et sauvage qui souligne le romantisme de l’histoire et de ses personnages.
Une phrase
" J’ai regardé Sadie s’éloigner du rucher de son pas lent et élégant, le dos bien droit, puis descendre la pente douce plus loin, ses bras minces pliés au coude, sa taille haute et fine décrivant un quart de cercle langoureux quand elle avançait, ses hanches étroites tournant au rythme de ses pas prudents sur le sol irrégulier, tous ses mouvements si familiers et si enchanteurs pour moi qui l’observais de près et de loin depuis plus de cinq ans maintenant. Elle portait ce jour-là une robe violet foncé, presque noire. Sa tête était nue, et ses cheveux très noirs, en tresses nouées autour de sa tête comme une nonne médiévale, miroitaient sous le soleil de l’après-midi.
Malgré sa grâce et sa beauté, elle paraissait ces derniers temps encore plus fragile qu’avant, comme si elle était constamment au bord de l’épuisement. Elle respirait avec difficulté et parlait d’une voix basse et chuchotante." Page 188
L'auteur
Russell Banks (1940-2023) romancier américain majeur, deux fois finaliste du prix Pulitzer donne, au fil de ses romans, une représentation critique et sociologique de son époque.
Il était engagé avec Salman Rushdie comme Président du Parlement des écrivains.
Parmi les nombreuses publications de Russell Banks : Oh, Canada (roman) et Un membre permanent de la famille (recueil de nouvelles) à découvrir sur Culture-Tops,
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