Barcelona, âme noire

Noire et amère saga Barcelonaise
De
Pellejero, Torrents, Pardo, Lapiere, Jakupi
Notre recommandation
3/5

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Thème

En pleine guerre d’Espagne, Barcelone est bombardée par l’aviation franquiste. La mère de Carlitos est retrouvée assassinée et mutilée dans les ruines de la maison familiale. Dans les années qui suivent, plusieurs femmes sont exécutées selon le même mode opératoire. 

En 1948, Carlitos s’installe à Perpignan. Officiellement, pour saisir d’autres opportunités professionnelles que celles offertes par l’Espagne franquiste ; officieusement, pour monter un lucratif trafic de contrebande. 

La mort brutale de son père le conduit à rentrer précipitamment à Barcelone. Il y est confronté à une terrible vérité sur sa famille et y fait la rencontre d’Eva, envoûtante danseuse de cabaret, et de Luis, policier à la morale élastique. Avec leur aide, il entame l’irrésistible ascension qui en fera un industriel en vue et le maître de la pègre barcelonaise.

Points forts

Barcelona, âme noire, c’est tout d’abord une passionnante plongée dans l’Espagne franquiste, ce pays où les amateurs de musique devaient se cacher pour écouter du jazz, où un simple policier de quartier avait quasiment droit de vie et de mort sur ses concitoyens et où tout un chacun vivait dans la crainte d’une dénonciation de son voisin. On pensera immanquablement au puissant Contrapaso 1. Les Enfants des Autres chroniqué en 2021 dans nos colonnes.

Barcelona, âme noire, c’est aussi un rôle fondamental donné à une magnifique galerie de personnages féminins, au premier rang desquelles la Mère de Carlitos, dont le courage et la disparition tragique marqueront au fer rouge le destin de son fils. Il y a également Jocelyne, l’épicière perpignanaise rencontrée dans un wagon de train, et Eva, réfugiée allemande devenue meneuse de revue. De chaque côté de la frontière, elles joueront pour Carlitos le rôle d’initiatrice aux choses de l’amour et de premier guide dans le monde des trafics clandestins. Et il y a Paula, l’amour d’enfance devenue épouse désabusée mais fidèle à la ferveur des promesses de jeunesse.

Barcelona, âme noire, c’est enfin le parcours d’un orphelin confronté très tôt à l’innommable, qui passera sa « vie à prendre une revanche sur [s]on passé », guidé par sa rage, son ambition et son cynisme, se coupant progressivement de tous ceux qui l’aiment. On trouve ainsi de nombreuses similitudes avec le parcours d’Antoine, héros du très joli Pigalle 1950, de Jean-Michel Arroyo et Pierre Christin, éd. Aire Libre, 2022 : une entrée presque par effraction dans le monde de la pègre, une ascension météorique, l’argent, les femmes, le pouvoir, la chute, la solitude. 

Il semblerait que l’influence d’un Melville, d’un Chabrol et d’un Simenon irriguent le scenario au cordeau de l’album, tandis que le classicisme du dessin donne au lecteur le sentiment d’être immergé dans un film noir des années 1950.

Quelques réserves

Cet album se veut à la fois thriller, biopic, enquête sur un tueur en série, ouvrage historique, hommage aux films policiers de l’après-guerre, récit initiatique et drame familial. Est-il possible en 144 pages d’être au rendez-vous de toutes les facettes d’une telle ambition ? La cohérence et la compacité du scénario me font dire que le tour de force est assez joliment réussi, même si le traitement de certaines dimensions de l’intrigue peut laisser le lecteur sur sa faim. Le fait que le récit, initialement conçu pour être décliné en 6 tomes, ait finalement être dû être condensé en un album unique n’y est sans doute pas étranger.

Encore un mot...

Dans Barcelona, âme noire, on tue, on mutile, on ment, on se ment, on trompe, on manipule, on aime, on abandonne, on boit, on espère, on rêve, on désespère, on aide, on humilie… A peu près toute la palette des sentiments, contradictions et comportements de l’être humain essayant de survivre en milieu hostile sont au rendez-vous de cet album choral.

Une illustration

L'auteur

Ils sont cinq à avoir œuvré à la naissance de l’album :

  • Denis Lapière et Gani Jakupi au scénario ;
  • Ruben Pellejero, Eduard Torrents et Martin Pardo au dessin.
  • Difficile de réaliser une biographie de chacun. Précisons que des membres de ce quintet, Denis Lapière est le seul à ne pas être barcelonais ; qu’ils sont tous riches d’une œuvre multiple et que certains d’entre eux ont déjà collaboré sur divers projets. Et citons, choix forcément subjectif, certaines de leurs réalisations majeures dans le monde de la BD : pour Denis Lapière, Le Convoi, avec Eduard Torrents, éd. Aire Libre, 2013-2024 ; pour Gani Jakupi, El Commandante Yankee, éd. Aire Libre, 2019 ; pour Ruben Pellejero, Loup de Pluie, avec Jean Dufaux, éd. Dargaud, 2012-2013 ; pour Martin Pardo, « La Revolución Rusa contada para Escépticos », éd. Planeta, 2023 ; pour Eduard Torrents, Ramon Llull, la controverse juive, éd. Glénat, 2011.

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