Les maîtres de Bayreuth
Parution en octobre 2023
230 pages
20€
Infos & réservation
Thème
Comme le titre l'indique, ce roman nous plonge dans l'univers de Richard Wagner avec deux fins connaisseurs : Moshe, un critique célèbre et cabotin dont tous les festivaliers guettent les appréciations, et Henry, un jeune blanc-bec, qui s'y connaît lui aussi mais contredit l'aîné, le provoque en duel verbalement... Comment ose-t-il ? Que vient-il faire à Bayreuth ? Le tout se déroulant dans une taverne pittoresque où la bière (fraîche) coule à flots "Les lapins franconiens" proche du Festspielhaus où le patron, un colosse, ne manque pas de couleur locale. Pourquoi le jeune rouquin s'en prend-il au plus âgé ? C'est là que le roman prend une tournure presque policière, car, finalement, la musique omniprésente n'est qu'un prétexte à régler de vieux comptes de famille... Et au fil des chapitres (portant les titres de "La tétralogie"), l'intensité dramatique monte : le lecteur, comme pris par la main par l'auteur, avance pas à pas et découvre les drames et souffrances que ces deux êtres ont eu à subir, à des époques différentes, Moshe lorsqu'il était jeune, et Henry dans son enfance.
Points forts
- Il faut saluer l'habileté avec laquelle Charlie Roquin "tricote" les précisions musicales et la psychologie de ses personnages. Le roman fourmille de détails musicaux et pourtant, jamais le lecteur ne se sent perdu. Pour ce faire, les annexes sont bienvenues : le lexique en fin de volume des noms des personnages de la Tétralogie, des notes en bas de pages, et même des QR codes pour écouter les extraits musicaux cités, aident le profane à s'y retrouver !
- On ne peut qu'admirer la culture de Charlie Roquin concernant la musique de Wagner, il sait tout, les grands chefs, les grandes éditions en disque, les bonnes années du festival et les moins bonnes, les metteurs en scène et leurs inventions insolites plus ou moins heureuses, les belles voix et les mauvais acteurs, ce qui différencie une "oreille exceptionnelle" d'une ouïe moyenne, bref, une connaissance ou une documentation encyclopédique, qui évidemment passionnera les amateurs (car ces précisions sont vraies) mais qui jamais ne lassera le lecteur moins informé. On apprend tellement d'éléments sur cette musique et son haut lieu que, même sans avoir jamais passé de longues heures à écouter Le ring, on reste ébloui !
- Un roman, c'est avant tout l'invention de personnages plausibles, au point qu'on les croit réels ! Outre les deux principaux, Moshe et Henry, les autres (qu'on ne saurait qualifier de "secondaires" tant ils jouent un rôle essentiel dans l'histoire) ne manquent pas de sel : Petula la directrice du festival, en fin de carrière ; Peggy la mezzo-soprano "grosse dondon" née à Dallas "d'un niveau moyen bien que professionnel"; la logeuse fouineuse et radin ; les policiers de la ville... tous, sympathiques ou touchants, malgré leurs travers et leurs difficultés à exister entre paraître et être. Et même l'ancêtre Dalmatius, chef d'orchestre aux US bouffi d'orgueil et monstre d'égoïsme...
- Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que, de ces joutes verbales, ces soirées post-opéra où les deux spécialistes "ferraillent", on comprend qu'une oeuvre peut être comprise d'une manière ou de son contraire, selon les points de vue, comme une pièce de monnaie peut être regardée sur l'avers ou le revers. Certains penseront que Wagner abuse du fortissimo ("Wagner, c'est du bruit !") d'autres, à l'inverse, affirmeront que si l'on écoute "les petites notes", il est d'une subtilité sans égal...
- Ne manquez pas la page 173 ! La mise en scène (imaginaire ? plausible, hélas) d'un Français "sorti de nulle part" (existe-t-il ?) voulant proposer une "relecture moderne" du Crépuscule des dieux, une version "verte", vaut son pesant d'or ! Et les pages 96-97 relatant quelques mises en scène extravagantes ne sont pas mal non plus ! On ne peut s'empêcher d'en rire (et ce n'est que l'un des moments où l'auteur réussit à nous faire rire, tant l'humour affleure souvent) ou si l'on doit en pleurer (tant la prétention de certains est affligeante !) Siegfried nu chevauchant un vélo crevé en guise de monture, Brünehilde en Femen... Je n'en dis pas plus !
Quelques réserves
Quand on tient un roman de la première à la dernière page, sans le lâcher, et qu'on le referme en étant sûr de ne jamais l'oublier, comment lui trouver des réserves ?
Encore un mot...
S'il fallait attribuer à ce roman un seul mérite, ce serait celui de pouvoir modifier le point de vue de ceux qui disent ne pas aimer Wagner...
L'auteur dédie ce roman à Jean-Claude Capère qui fut son professeur d'allemand en classe préparatoire à Janson-de-Sailly : "Il nous racontait la Tétralogie avec un mélange d'émotion et d'érudition qui nous laissait étourdis, la tête dans les nuages du Walhall. Ce roman lui est dédié avec mon souvenir affectueux".
Une phrase
- Moshe : "Je me flatte que mes propos vous aient intéressé et même amusé, je ne les croyais pas drôles. Afin que nous puissions tous en profiter, auriez-vous la gentillesse de nous communiquer la raison de ce rire ?
- Henry : La Voici : vous ne racontez que ces conneries " (p. 56)
- "Demain ? "sourcilla M. Schopenhauer, sous-entendu "je vais encore devoir supporter ce rat ?" Dans un effort qui lui coûta, Moshe se releva et se pencha en avant, ses poings contre la table.
"Oui, demain. Ce jeune homme est venu de loin pour éprouver mes opinions. Il veut débattre ? Nous débattrons... Je n'ai pas l'intention de refuser aucun coup. Nous ferraillerons au sujet du chef, de l'orchestre, de la troisième clarinette, du huitième cor si cela lui chante. Pour l'heure, je vais me coucher. Il est tard et je ne sais pour vous : moi, ces palabres m'ont fatigué" (P. 62).
"C'est quoi, pour toi, être wagnérien ?"
- Hein ! "fit Dalmatius, intéressé par la question. Il débouchait une bouteille de pomerol.
"Au niveau le plus simple : connaître, apprécier la musique de Wagner. Au niveau supérieur, c'est considérer que l'œuvre du Maître est assez riche pour que l'on puisse tout voir, tout vivre à travers elle. ... C'est faire d'une dizaine d'opéras, en quelque sorte la bande-son de sa vie. Découvrir la chair avec Siegfried, la mort avec Isolde, Dieu avec Parsifal ; rire des coups de marteau du père Sachs, se marier sur la Marche nuptiale, avoir les yeux qui piquent lorsqu'on écoute la Romance à l'étoile... Croire à l'amour absolu, au héros qu'on porte en soi. Accepter le tragique de l'existence pour mieux le dépasser. C'est chercher le vertige, la transe, abhorrer la prudence et la médiocrité..." (p. 110)
L'auteur
Le jeune romancier Charlie Roquin (né en 1990) publie, avec ces Maîtres de Bayreuth, son troisième roman, après Métadata (les tribulations d'un informaticien) et Le Roi (l'improbable succès d'un actuel prétendant au trône de France). Les Maîtres de Bayreuth a été retenu dans la première sélection du Grand Prix du roman de l'Académie française 2023, puis dans la sélection finale 2023 du Prix interallié, du Prix littéraire des musiciens et de plusieurs autres prix littéraires. Il a obtenu le Prix Georges Bizet du livre d'opéra et de danse 2023.
Commentaires
Merci d'avoir su expliquer aussi savamment le sel de ce livre jubilation!
Ajouter un commentaire